Cerveau en santé, vieillissement en santé

Une discussion avec le Pr Simon Duchesne, professeur agrégé au Département de Radiologie de l’Université Laval et chercheur au centre de recherche CERVO, sur la détection précoce de maladies neurodégénératives, sur la création d’un modèle de prédiction du vieillissement ainsi que sur les enjeux liés au traitement de données big data.


Spécialisé en physique médicale, le professeur Duchesne a pu observer un jeu de données sur l’Alzheimer en fin de doctorat en génie biomédical à McGill en 2003, ce qui lui a permis de réaliser qu’il s’agit là d’un des plus gros problèmes neurologiques encore non résolus à ce jour. Depuis une dizaine d’années maintenant, le professeur Duchesne travaille sur le vieillissement normal et anormal de la population. Son laboratoire multidisciplinaire intègre plusieurs techniques d’imagerie (IRM, TEP, …) et comprend des professionnels comme des neuropsychologues, des médecins et des statisticiens, ceci dans le but d’appliquer les meilleures méthodes permettant d’analyser un lot de données impressionnant sur le vieillissement. L’article qui suit résume les propos intéressants du professeur recueillis lors d’une discussion que nous avons eue sur les maladies neurodégénératives et sur sa volonté de produire un modèle de prédiction des vieillissements normal et anormal.

 

Des distinctions entre certaines maladies mentales

Les maladies mentales peuvent être classifiées comme étant psychiatriques, où les effets relèvent du comportement, ou neurologiques, où les effets relèvent du cognitif et du physique. Selon le Pr Duchesne, ces classifications sont plutôt illusoires, puisqu’au final c’est le cerveau qui est en cause. Il donne en exemple le fait que les schizophrènes (maladie psychiatrique) ont des problèmes physiques et les personnes atteintes du Parkinson (maladie neurologique) ont des problèmes de comportement. C’est donc en tentant de comprendre le cerveau lui-même que le diagnostic et le traitement de ces maladies se verront réellement optimisés.

Par exemple, la compréhension de la maladie d’Alzheimer a permis de comprendre que les habitudes de vie saines doivent être adoptées dès le plus jeune âge pour réduire les risques de développer cette maladie.

En cas d’Alzheimer sévère, c’est près de 40% de l’hippocampe, la partie médiale du lobe temporal, qui disparaît. L’hippocampe sert de relais pour la mémoire, c’est à dire qu’il contribue à fixer la mémoire épisodique de manière plus permanente et plus complète en intégrant non seulement l’information, mais aussi ce qui est perçu par les sens. Ainsi, une personne atteinte d’Alzheimer a de la difficulté à enregistrer un événement épisodique et à rechercher des événements épisodiques. Une parenthèse intéressante du professeur sur un cas frappant l’imaginaire aide à mieux comprendre les effets de la maladie en état tardif : « C’est là que les gens ne comprennent plus ce qu’ils font. Ils ne sont plus capables de planifier. Ils ne se souviennent plus qu’il faut prendre un rendez-vous. Ils ne se souviennent plus qu’ils ont pris un rendez-vous et qu’ils l’ont mis dans un agenda. Ils ne se souviennent plus de ce qu’est un agenda. Ils ne se souviennent plus de ce qu’est un rendez-vous. Finalement, ils sortent dans la rue, parce qu’ils se disent « pourquoi pas? », et ils vont prendre une marche pour se retrouver dans la rue en plein hiver, pas habillés et perdus dans leur propre quartier. »

Il est important de savoir que l’Alzheimer est une maladie neurodégénérative chronique qui prend plus de 30 ans à se développer. Les gènes et le mode de vie influencent le début de la maladie dès l’âge de 25 ans. Comme mentionné par le Pr Duchesne : « Ne pas fumer, faire du sport, vérifier sa tension, éviter le diabète, pas faire de cholestérol, etc., ce n’est pas juste pour une crise cardiaque entre 40 et 50 ans. Ce n’est pas seulement pour éviter un cancer de 50 à 60 ans. C’est aussi pour éviter une démence de 60 à 80 ans. »

Un diagnostic posé tôt dans le développement de la maladie chez une personne atteinte permettrait donc de sensibiliser la population et de développer des traitements potentiellement plus appropriés.

 

Un modèle de prédiction du vieillissement

Il est difficile de détecter une maladie de manière précoce en raison de la grande variabilité observable dans la population. Cette variabilité s’explique majoritairement par la différence de structure du cerveau et de l’accumulation de certaines protéines. C’est ce dont il est question dans l’article « Normative morphometric data for cerebral cortical areas over the lifetime of the adult human brain »1 publié en 2017 par O. Potvina, L. Dieumegarde et S. Duchesne, en collaboration avec l’Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative (l’initiative de neuroimagerie pour la maladie d’Alzheimer). L’article mentionne le manque de données normatives appropriées sur les mesures anatomiques des régions corticales pour des études visant la quantification des anomalies cérébrales. Pour combler ce manque, l’équipe de recherche s’est donné pour objectif de développer un modèle de cerveau qui intégrera les informations neuronales, vasculaires et métaboliques en plus des différents problèmes de santé caractérisant certains individus tels le cholestérol ou le diabète.

Le principe se résume donc à vouloir produire un graphique de croissance, ou de décroissance dans le cas du vieillissement, pour le cerveau similaire au graphique de croissance corporelle avec lequel nous sommes familiers depuis notre enfance. Le professeur Duchesne mentionne d’ailleurs qu’il est curieux de constater que des mesures de cerveau sont effectuées depuis une vingtaine d’années et que ce type de graphique de croissance n’existe pas.

L’hypothèse principale mentionnée par le professeur Duchesne est que la santé cérébrale est importante et qu’une mauvaise santé du cerveau peut conduire à des problèmes cognitifs. Le modèle proposé permettrait alors de prédire le vieillissement du cerveau et de distinguer un vieillissement normal d’un vieillissement anormal selon les facteurs observés. Le défi principal de cette étude est de considérer le nombre impressionnant de facteurs potentiellement utilisables, soit « entre 1 et 7.7 milliards », dit le professeur sur un ton moqueur, ainsi que l’énorme variabilité de ces facteurs. Ceux-ci sont liés à l’historique, à la culture, à l’éducation et même à la main avec laquelle un individu écrit. Les plus grosses différences observées au niveau structurel du cerveau sont liées au sexe biologique et au genre auquel une personne s’associe. D’autant plus que la population plus âgée actuellement a vécu un développement cérébral dans les années 1930-1950 où le mode de vie d’un homme occidental était complètement différent de celui d’une femme. Un autre facteur expliquant la variance est la taille du cerveau, qui est influencée par la taille de la boîte crânienne qui, encore une fois, est fortement relié au sexe biologique. Malgré la détection de facteurs influençant la variance de l’aire, de l’épaisseur et du volume de différentes régions corticales, la majeure partie de ces variances demeure inexpliquée.

Le modèle se base sur l’observation des structures du cerveau en vue d’obtenir de l’information sur l’intégrité neuronale. Ce type d’étude, tel que mentionné par le professeur, a déjà été effectué par le passé, mais avec peu de données contenant moins de structures. L’étude présentée ici porte sur l’analyse de 2700 patients avec plus de structures observables et, depuis la publication de l’article en 2017, ce nombre a augmenté jusqu’à 4000. Ce modèle a permis de mesurer des déviations de l’échantillon normatif chez des individus atteints d’Alzheimer léger et de schizophrénie, donc des résultats importants sont déjà obtenus avec l’étude.

Le professeur a souligné le fait que les données utilisées dans ce genre d’étude proviennent habituellement d’universités d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord. Les sujets sont soit des jeunes étudiants, soit des personnes plus âgées qui font partie du corps professoral – ce dernier groupe est plus intéressant pour l’étude sur le vieillissement. Il y a donc un écart entre ces deux groupes d’âges et ceci représente une lacune au niveau des données. De plus, les sujets ont tendance à être de couleur blanche et fortement éduqués, ce qui représente une partie de la population seulement et n’est pas nécessairement utile d’un point de vue clinique. Par contre, ces données sont utiles pour d’autres études recrutant le même type d’individus au niveau universitaire. Pour l’instant, le besoin d’élargir la population étudiée ne se fait pas sentir, car les études portant sur la maladie d’Alzheimer recrutent le même genre de personnes. Il faut seulement être conscient des données et faire attention au biais dans l’interprétation, précise M. Duchesne.

 

La continuation de l’étude et l’utilisation du big data

Au cours de notre entrevue, une personne est entrée dans le bureau de M. Duchesne pour lui confirmer qu’ils étaient désormais rendus à plus de 9000 sujets dans leur banque de données. Comme il dit, « le vieillissement est tellement multiparamétrique qu’il en faut toujours plus ». Ceci est donc bon signe pour la poursuite de l’étude, car le seul moyen de bien répondre à l’effet des différents facteurs est d’exploiter le big data. Toutefois, le professeur a souligné qu’une autre catégorie de problèmes est apparue au niveau informatique en raison du nombre croissant de données à traiter. Il faut essentiellement savoir quel type de données on veut. Tel qu’expliqué par le professeur, il faut répondre à certaines questions essentielles :

  • « Pourquoi? Je veux construire un modèle cérébral.
  • Quoi? (Qu’est-ce que je devrais mesurer?) C’est avec cette question que je lutte encore.
  • Comment? La réponse à cette question pose problème si on répond mal à la question précédente. Par exemple, si des données acquises par électroencéphalogramme (EEG) sont intégrées au modèle, sait-on vraiment ce qu’elles lui apportent? »

Il termine cette réflexion avec le paradoxe Donald Rumsfeld, Secrétaire de la Défense des États-Unis à l’époque où il a prononcé ces mots en 2002 :

« Reports that say that something hasn’t happened are always interesting to me, because as we know, there are known knowns; there are things we know we know. We also know there are known unknowns; that is to say we know there are some things we do not know. But there are also unknown unknowns — the ones we don’t know we don’t know. And if one looks throughout the history of our country and other free countries, it is the latter category that tend to be the difficult ones. » 2

Ainsi, les données inconnues qu’ils ne savent pas qu’ils n’ont pas représentent le plus grand défi de cette étude.

Le professeur Duchesne (en-bas à droite) et son équipe du centre de recherche CERVO. (2016).

J’aimerais moi-même conclure cet article en remerciant Monsieur Simon Duchesne pour son temps et pour son ouverture à la discussion sur des sujets aussi mystérieux que d’actualité que sont l’Alzheimer et le vieillissement.


1 Potvin, O., Dieumegarde, L., Duchesne, S., & Alzheimer’s Disease Neuroimaging Initiative. (2017). Normative morphometric data for cerebral cortical areas over the lifetime of the adult human brain. NeuroImage, 156, 315–339. https://doi.org/10.1016/j.neuroimage.2017.05.019

2 U.S Department of Defense. (2002). Defense.gov Transcript: DoD News Briefing – Secretary Rumsfeld and Gen. Myers. Retrieved April 11, 2018, from http://archive.defense.gov/Transcripts/Transcript.aspx?TranscriptID=2636 

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