Comment Dr Nielsen Connaît vos Pires Cauchemars ?


Le Dr Tore Nielsen est un chercheur qui s’intéresse au sommeil et plus particulièrement aux rêves et aux cauchemars. Son dernier article porte principalement sur le lien entre les cauchemars et les maladies mentales.

J’ai choisi ce sujet car j’ai toujours moi-même été très intéressée par les rêves et le sommeil. Je fais moi-même beaucoup de rêves et de cauchemars, encore aujourd’hui, j’ai voulu comprendre pourquoi.

J’ai donc eu la chance de pouvoir interviewer un expert dans ce domaine, le Dr Tore Nielsen, fondateur du Laboratoire des Rêves et des Cauchemars au Centre d’Étude Avancée en Médecine du Sommeil à l’Hôpital du Sacré Cœur de Montréal.


Comment Dr Nielsen Connaît vos Pires Cauchemars ?

Q- Quel est votre background ? Pourquoi avez-vous choisis ce domaine de recherche ?

R- Mon intérêt pour les rêves provient de ma propre expérience. Assez jeune j’ai expérimenté des rêves assez vivaces et j’en ai toujours été intrigué. Les chercheurs dans ce milieu ont généralement ce type de motivation.

C’est en débutant mes études supérieures, en master, que j’ai réalisé que je pouvais étudier dans ce domaine d’un point de vu scientifique. C’est à ce moment là que j’ai décidé que je voulais faire de la recherche et travailler dans le domaine du sommeil et des rêves. J’ai poursuivi mes études jusqu’au doctorat que j’ai fait en psychologie expérimentale à l’Université de Calgary et à l’Université d’Alberta. C’est dans ces 2 programmes que j’ai réellement étudier les rêves et les cauchemars.

Ensuite, j’ai eu la chance de faire mon post doctorat au centre d’Étude Avancée en Médecine du Sommeil à Montréal sous la supervision du Dr. Jacques Montplaisir. Je travaille encore dans ce centre de recherche dépendant de l’Université de Montréal. J’ai pu y créer mon propre laboratoire nommé le Laboratoire des Rêves et des Cauchemars. Aujourd’hui je travail à l’Hôpital du Sacré-Cœur (dans lequel se trouve le centre de recherche sur le sommeil) et j’enseigne aussi à l’Université de Montréal dans le programme de psychologie.

Q- Est-il difficile de faire des mesures sur le sommeil et les rêves plus particulièrement ?

R- Comme vous le savez, le sommeil est décomposé en différentes périodes nommées REM NREM. Ces acronymes signifient Rapid Eye Movement et Non Rapid Eye Movement. Durant les différentes phases du sommeil, on observe réellement un changement dans le mouvement des yeux et c’est à partir de cette caractéristique que l’on a pu identifier les différent type de sommeil en plus des variations de l’électroencéphalogramme (EEG).

Cette découverte date des années 50 et une partie de cette découverte était que le sommeil REM est associé à la présence de rêves. Pour obtenir ce résultat, les chercheurs ont simplement réveillé les personnes durant la phase REM et ces dernières se rappelaient très bien de leur rêves, ils étaient capables de les décrire précisément. Lorsqu’ils étaient réveillés durant la phase NREM, les personnes avaient des souvenirs flous, voire aucun souvenir de leurs rêves.

Mais aujourd’hui on n’est pas encore capable de connaître le rêve de la personne. On en est encore assez loin d’un point de vu scientifique et technologique.

De manière générale les études sur le sommeil sont des études assez complexe et difficile à réaliser. C’est un peu plus simple aujourd’hui qu’il y a 50 ans grâce au développement de nouvelles technologies comme les IRM et le perfectionnement des EEG.

Ces études restent difficiles, notamment pour le personnel de laboratoire mais aussi pour les patients. Le personnel doit travailler de nuit et c’est toujours assez difficile à organiser. Quant aux patients, il faut qu’ils dorment à l’hôpital, ce qui n’est jamais très confortable et assez intimidant en plus de toutes les machines et électrodes. Le processus d’enregistrement du sommeil est assez long et prend beaucoup de temps d’installation. Il faut des personnes qualifiées pour placer toutes les électrodes sur le crâne par exemple. C’est sûr que la durée d’une étude sur le sommeil chez 20 sujets est sûrement 20 fois plus longue que n’importe quelles autres études en psychologie. À tout ça il faut ajouter le le first night effect (l’effet de la première nuit). En effet, lorsqu’on dort dans un endroit non familier pour la première fois, on a souvent un sommeil assez dérangé. C’est ce qu’on appelle le first night effect. La première nuit nous sert donc de nuit d’adaptation car les résultats sont inutilisables.

Pour éviter tous ces problèmes, aujourd’hui il est très courant de faire ces études sur des siestes matinales.

Q- Est ce que le sommeil est similaire quand on fait une sieste matinale versus les sommeils du soir ?

R- C’est difficile à dire. Il n’y a pas beaucoup d’étude faites sur ce sujet. Mais la sieste matinale est un excellent moyen d’obtenir un sommeil REM. Le sommeil REM suit le cycle circadien et le pic d’intensité des rêves est vers 8-9h le matin. En faisant nos études durant les siestes matinales on a de meilleurs résultats et c’est ce que l’on cherche.

Q- Quelles sont les infrastructures mises à votre disposition pour faire ces mesures ?

R- Il y a une base classique pour faire des études sur le sommeil nommé la polysomnographie (PSG). Elle comprend un EEG, le calcul du mouvement des yeux et un électromyogramme (EMG) pour mesurer les mouvements musculaires au niveau du menton. Avec ces 3 caractéristiques on peut déterminer les différentes périodes du sommeil. Il est aussi possible de rajouter d’autre mesures comme un électrocardiogramme (ECG) ou un autre EMG.

Q- Est-ce que le fait de prendre ces mesures dans un laboratoire et non en condition réelle (durant le cycle normal de sommeil de la personne chez elle) a un gros impacts sur les résultats ?

R- En fait, il y a actuellement peu d’étude réalisée qui compare le sommeil en laboratoire versus le sommeil en condition normale. Comme mentionné avant, il faut une certaine adaptation à l’environnement pour le patient. C’est sûr que pour les tests effectués durant des siestes matinales la logistique est un peu plus simple et l’adaptation se fait plus facilement.

Q- Est ce qu’il y a un âge particulier où les cauchemars idiopathiques (symptôme d’origine inconnu) apparaissent ?

R- C’est assez varié mais en général ça commence vers l’âge de 3-4 ans et se poursuit tout le long de la vie, avec un pic lors de l’adolescence. La communauté scientifique pense qu’il y aurait peut être un lien avec les fluctuations d’hormones importantes notamment durant l’adolescence.

Q- A partir de quand est ce que des cauchemars sont considérés comme idiopathiques ? est-ce par périodes?

R- Cela dépend des personnes, de l’âge et du type de cauchemar fait. C’est évident qu’une personne qui a connu un traumatisme durant son enfance sera plus encline à faire des cauchemars. De plus, dans notre dernière étude (Picard-Deland et al., 2017) on a fait le lien entre les cauchemars et les maladies mentales. Les cauchemars sont de bon indicateurs de certaines de ces maladies, comme la dépression, la schizophrénie, le syndrome post-traumatique.

Q- Comment est ce que vous détectez que les rêves sont des cauchemars idiopathiques ?

R- En fait, on remarque des variations dans les séquences EEG. Dans une séquence EEG lors du sommeil on observe des pics d’activité. Ces pics varient en fonction du type de sommeil, et en fonction de si la personne rêve ou non. On peut visualiser des différences dans ces séquences d’EEG entre un cauchemar et un rêve par exemple.

Q- Est ce que vous pensez qu’il serait possible de diagnostiquer ces maladies mentales à travers une analyse des rêves et du sommeil ?

R- Ultimement, oui ça serait possible mais aujourd’hui, avec les technologies mises à notre disposition, on ne serait pas capable d’émettre un diagnostic mais plutôt d’observer un effet de ces maladies. En revanche, on commence à réfléchir à d’éventuelles thérapies du sommeil pour essayer de diminuer la prise de médicaments.

Q- Avez-vous une idée de pourquoi les femmes sont plus touchées par les cauchemars idiopathiques ?

R- Non. Aujourd’hui on ne sait pas pourquoi les femmes sont plus touchées par les rêves idiopathiques. On sait qu’il y a des différences de connexion entre le cerveau d’un homme et celui d’une femme.

Pour les femmes, les 2 hémisphères sont beaucoup plus interreliés notamment au niveau de la partie qui prend en charges les sentiments. Il faut rappeler que les fluctuations hormonales sont plus importantes au cours de la vie d’une femme. Ces raisons sont sûrement en parti responsables du fait que les femmes soient plus touchées que les hommes, mais il reste encore beaucoup de recherches a faire sur le cerveau et sur les différences entre les sexes pour réellement comprendre pourquoi.

Q- Quel est le plus gros challenge technologique auquel vous avez fait face durant cette étude ?

R- Le plus gros challenge technologique est sûrement les outils et leurs praticités. En effet, pour l’EEG et l’EMG il faut installer un nombres important d’électrodes, ce qui prend beaucoup de temps et du personnel qualifié.

Q- Une question un peu plus personnelle, je fais moi même beaucoup de rêve et j’ai notamment le sentiment de rêver toute la nuit et d’être encore plus épuisée le matin que lorsque je me suis couchée la veille. Êtes-vous familier avec ce phénomène ?

R- Oui, j’ai récemment lu un article à propos de ça et j’en ai aussi entendu parlé dans mon entourage. Selon cette étude, cette idiopathie ne toucherait que les femmes et se nomme epic dreaming. On ne sait pas vraiment pourquoi ni comment cela se produit et cette découverte est assez récente. En réalité, on connaît très peu de chose aujourd’hui sur le cerveau et encore moins sur le sommeil. On sait que ce dernier est très important et assure de nombreuses fonctionnalités nécessaires à notre survie mais comment il fonctionne et pourquoi reste en majeure partie inconnu. Pour l’évolution de la médecine il est indispensable de comprendre le fonctionnement de notre cerveau et de notre sommeil.

Pour finir …

J’aimerais remercier Dr. Nielsen pour son temps accordé et son enthousiasme durant l’entrevue.

ll faut rappeler qu’on dort plus d’un quart de notre vie. Il serait intéressant de comprendre pourquoi (Mirror, 2012).

Rédigé par, Elena Refet

le, 11 avril 2018

 

Références:

Picard-Deland, Tore Nielsen et al.,& al, 2017, Sleep spindle and psychopathology characteristics of frequent nightmare recallers, published in Sleep Medecine)

Mirror, 2012, Fascinating facts about how we spend the days of our lives. https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/fascinating-facts-about-how-we-spend-the-days-410973

 

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