Autisme, le raisonnement moral lié à l’attention visuelle ?

Le domaine de la psychologie utilise de plus en plus les nouvelles technologies à des fins de diagnostic ou d’analyse comportementale notamment. C’est dans cette optique que j’ai eu la chance de m’entretenir avec Dre Miriam Beauchamp qui est neuropsychologue de formation. Son domaine de recherche se divise en deux champs d’expertise : premièrement la neuropsychologie pédiatrique, en particulier la recherche clinique centrée sur l’effet des commotions cérébrales chez les enfants et adolescents, et la neuroscience sociale qui concerne l’étude et l’analyse du développement social chez les jeunes et qui vise à mieux comprendre les substrats neuronaux et les capacités cognitives qui interviennent dans les interactions sociales. C’est dans le cadre de ce dernier thème que s’inscrit l’étude dont nous avons parlé ensemble. En effet avec un de ses étudiants en doctorat, Mathieu Garon, elle a travaillé sur l’analyse du raisonnement moral chez les personnes atteintes d’autisme et le lien avec l’encodage visuel évalué à l’aide d’un dispositif de suivi oculaire.

Mais d’où vient ce genre de questionnement ? L’un des axes de recherche en neuropsychologie aujourd’hui, vise à améliorer la façon d’évaluer les capacités sociales. Celles-ci sont difficilement quantifiables, complexes à mesurer et décoder. Les techniques standards reposent sur des questionnaires, des jeux sur papier, tâches qu’on appelle papier crayon en neuropsychologie, mais qui restent peu représentatives de la vie de tous les jours. L’un des objectifs est donc d’améliorer ces méthodes tout en utilisant des technologies émergentes qui donnent accès à des indices en temps réel.

Des études antérieures ont mis en évidence que les personnes ayant un trouble du spectre autistique (TSA) ont des difficultés dans l‘interprétation et la communication sociale ou encore le raisonnement moral. Pourtant ils obtiennent en général des scores comparables au neurotypiques lors de tâches de raisonnement moral. D’autre part, l’attention visuelle joue un rôle dans les processus sociaux selon plusieurs études. Dans cette optique Dre Beauchamp et son équipe ont voulu mieux comprendre d’où proviennent ces difficultés en analysant plus particulièrement la cible de l’attention visuelle lors d’une tâche morale.

Pour cette étude deux groupes de sujets ont été formés. Le premier est composé de 30 jeunes adultes atteint de TSA de haut niveau, c’est-à-dire qui ont un fonctionnement intellectuel moyen, voire supérieur à la moyenne et qui vivent donc de manière indépendante et le deuxième, le groupe témoin, est composé de 59 jeunes adultes neurotypiques.

Le raisonnement moral des sujets a été étudié grâce au test SoMoral. Ce test propose un dilemme moral du quotidien par le biais de trois photos qui exposent la situation. Les sujets doivent par la suite expliquer le dilemme avec leurs propres mots ce qui témoigne de leur capacité à comprendre la situation, puis expliquer leur réaction et la manière dont ils vont choisir d’agir face à ce dilemme et pour finir justifier leurs actions. En parallèle un oculomètre suit le mouvement de leurs pupilles, ce qui, une fois analysé, donne ainsi accès aux régions des images sur lesquelles ils portent leur attention et pendant combien de temps. L’hypothèse principale sur laquelle se sont basé les chercheurs est que les personnes atteintes de TSA portent moins d’attention aux visages que les neurotypiques ce qui aurait un lien avec les capacités sociales et le raisonnement moral.

 

Déroulement du test SoMoral pour un exemple. Première image : le portefeuille d’une femme est sur le point de tomber. Deuxième image : il tombe et la femme continue de marcher. Troisième image : le participant trouve portefeuille, ses amis sont heureux de voir l’argent et suggèrent de le garder. Le participant doit ensuite expliquer la situation, choisir de garder ou non le portefeuille et dire pourquoi.

 

Est-il possible de formuler une relation de causalité entre le TSA et l’encodage visuel ?

Dre Beauchamp : Les recherches actuelles sont toujours à la phase exploratoire, la relation qui est mise en évidence par les techniques statistiques aujourd’hui est une relation de corrélation uniquement, une association.

On ne peut pas statuer de façon définitive que l’autisme cause cette différence dans d’attention visuelle. Néanmoins dans cette étude nous avons plusieurs sources d’information, la première étant le score de la tache de raisonnement moral (test SoMoral) et la deuxième, les informations fournies par l’oculomètre. Nous avons donc au moins deux sources d’information complémentaires qui donnent des indices pour établir une relation. Mais rien ne nous permet d’identifier un lien de causalité pour l’instant, il faudrait avoir un devis expérimental. Il se pourrait même que la causalité soit dans le sens inverse, qui de l’œuf ou la poule… ?

 

Pourquoi utiliser des images pour le test SoMoral ? Est-ce que cela a un impact sur l’analyse des résultats ? Des vidéos ne pourraient-elles fournir une mise en situation plus réaliste ?  

Dre Beauchamp : Comme mentionner précédemment, nous cherchons à améliorer la façon dont on analyse les capacités sociales mais nous avons encore des limites. Un de nos objectifs est justement de rendre la tâche plus dynamique, car en effet dans la vie de tous les jours rien n’est statique, les gens bougent, les visages bougent… Cependant utiliser des images statiques rend l’analyse plus facile notamment pour définir des régions d’intérêts comme les visages.

Cela étant dit, la tâche d’évaluation de raisonnement moral utilisée, le test SoMoral, a été développé en réalité virtuelle et en un jeu vidéo sérieux qui vise à améliorer les habilités sociales des jeunes. Toute fois nous n’avons jamais essayé de mettre en relation cette version en réalité virtuelle avec l’oculomètre, même si le casque de réalité virtuelle est en fait déjà doté du système d’oculométrie.

Le choix des photos est donc essentiellement un choix pratique, car nous arrivons mieux à contrôler cet outil pour l’instant, mais il n’est pas impossible d’évoluer et de se diriger vers l’utilisation de d’outils plus dynamiques.

 

Quel pourraient-être les applications d’une telle étude ? Est-ce que cela pourrait permettre le développement de méthodes de diagnostic du TSA ou plutôt de « traitement » ?

Dre Beauchamp : Non en ce qui concerne le diagnostic. C’est quelque chose de très complexe qui fait enter plusieurs facteurs. Nos tests n’ont pas la sensibilité ni la spécificité qu’aurait un biomarqueur par exemple et qui nous permettrait de dire oui ou non cette personne souffre de TSA, avec suffisamment de certitude. Notre étude rentre plutôt dans une optique scientifique avec pour but d’identifier les différences qui peuvent exister entre les deux populations. Par contre dans une optique clinique nos résultats pourraient permettre d’identifier des bases pour une intervention. En comprenant mieux l’attention visuelle d’une personne avec un TSA et le lien avec ses habilités sociales, nous pourrions, dans le cas ou les habilités sociales sont moins bonnes, proposer des indices, des conseils basés sur nos observations pour améliorer ses capacités sociales. Nous pourrions par exemple aider les personnes à concentrer leur attention sur les endroits portant les informations les plus importantes et les plus pertinentes pour l’analyse de la situation comme les visages.

 

Pour conclure, des différences entre les deux groupes étudiés ont bien été détectées lors de cette étude, notamment au niveau de la justification morale et des zones d’intérêts visuelles, des relations de corrélation ont été établies cependant une question me reste en tête : est-il possible d’adapter cette étude à une population aveugle et comment ? Dre Beauchamp suppose qu’une analyse de l’attention auditive liée à la composante sociale pourrait sans doute être mise en place. Et vous, une idée ?

Référence : Mathieu Garon, Baudouin Forgeot d’Arc, Marie M. Lavallée, Evelyn V. Estay, and Miriam H. Beauchamp, “Visual Encoding of Social Cues Contributes to Moral Reasoning in Autism Spectrum Disorder: An Eye-Tracking Study”, Frontier in Human Neuro Science, October 2018, Volume 12, Article 409

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *