NeuroTracker : Une méthode innovatrice pour suivre la progression des commotions cérébrales dans le sport

Je pose la scène suivante. Un joueur de football américain tente d’intercepter une passe. Celui-ci est en mouvement. Il doit à la fois être conscient de son environnement ainsi que de la trajectoire et de la vitesse du ballon. Plusieurs paramètres sont en jeu dans cette situation. Comment fait le cerveau pour interpréter cette scène et poser un jugement sur la décision à prendre pour intercepter avec succès la passe ? C’est une des questions sur laquelle Dr Jocelyn Faubert s’est penché lors de son cheminement en recherche.

Le 13 mars 2019, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Dr Jocelyn Faubert en entrevue pour discuter du travail qu’il effectue dans son laboratoire à l’École d’optométrie de l’Université de Montréal ainsi que de l’article « Perceptual-cognitive three-dimensional multiple-object tracking task can help the monitoring of sport-related concussion ». Cet article publié dans BMJ Open Sport & Exercice Medecine traite de la commotion chez les athlètes de haut-niveauet du suivi de leur récupération au niveau cognitif et de la prise de décision. L’étude a été complétée en utilisant une technologie développée par le Faubert Lab, soit le NeuroTracker, dont le fonctionnement sera détaillé plus tard.

Dr Jocelyn Faubert, détenteur d’un Ph. D. en psychologie expérimentale à l’Université Concordia, est impliqué dans le développement de nombreuses nouvelles technologies. Il a publié plus de 166 articles dans les domaines de psychologie expérimentale, de sciences sportives, de science de la vision, de neuroscience et d’ingénierie, pour n’en nommer que quelques-uns. En plus d’être titulaire d’une chaire industrielle CRSNG-Essilor sur la presbytie et la perception visuelle, il est Chief Science Officer de « Nothing Artificial ». Cette compagnie, qui a pris en charge le NeuroTracker, a maintenant différents volets : NeuroTracker (sport et performances), NeuroEd X (développement et éducation), NeuroStreet (Bourse) et un projet en cours pour les e-games.

Qu’est-ce que le NeuroTracker ?

Le premier sujet de discussion que nous avons abordé concernait l’outil utilisé pour l’évaluation des capacités perceptivo-cognitifs des participants. La question guide était simple : je souhaitais connaître les étapes du développement du NeuroTracker et les paramètres qui le caractérisent.

J. Faubert : Pour le NeuroTracker, c’est très différent [des autres technologies]. Ce n’est pas un objet, ce n’est pas un design, c’est une approche, un processus. Le processus utilise une façon de stimuler le cerveau qui va créer un bénéfice et il faut que ça soit rapide, efficace, généralisable à plusieurs environnements ou conditions, donc transférable.

Le but était donc de développer des approches pour essayer de comprendre comment on traite l’information dynamique, par exemple : quand on se promène dans du trafic, quand on conduit une voiture, lorsqu’on gère plein d’informations, dans le sport, etc. Une importante question se pose avant de débuter le processus de conception : comment est-ce que le cerveau réagit à ces situations et comment est-ce que je peux stimuler les bonnes régions ? La réponse à cette question nous permet d’avoir une vue complète du modèle à développer. La démarche employée était la suivante.

J. Faubert : J’ai enlevé de façon systématique le contenu et j’ai pensé au design le plus simple. Je me suis quand même fié sur des choses dans le domaine scientifique. Le MOT (« multiple-object tracking ») existait avant. Il a été utilisé pour voir comment on peut diviser l’attention sur différents objets. Je suis parti avec ces principes et j’ai déterminé qu’il y avait certains éléments qui étaient essentiels pour que ça puisse être transféré dans la vraie vie.

Ce dernier point est très important, car lorsque les gens entraînent leur cerveau à une tâche avec le NeuroTracker, il est important que les acquis soient utiles pour autre chose. Autrement dit, il faut que l’utilisation du NeuroTracker ait des répercussions positives transférables à une multitude de situations. Il faut donc s’assurer que la technologie permet de prendre de meilleures décisions.

J. Faubert : On a développé un protocole qui était optimal pour isoler les paramètres fondamentaux au niveau cérébral et qui étaient essentiels pour gérer les scènes. Ça prend de l’attention, mais pas n’importe quel type d’attention. Ça prend de l’attention dynamique. Ça prenait donc quelque chose en mouvement. Ça prenait aussi un champ visuel assez important. Il y a des paramètres qui sont importants là-dedans parce que si j’entraîne quelqu’un à faire une tache qui est purement centrale, ça ne veut pas dire que ça va transférer au niveau périphérique. Si on a des circuits différents, on va chercher des neurones différents, les réseaux sont plus larges. Il faut apprendre à distribuer son attention pas seulement dans un point bien précis, mais le distribuer dans une zone relativement large sinon ça ne servira à aucun sport.

Le Dr Faubert explique ensuite l’importance de l’aspect tridimensionnelle. Prenons un exemple pour illustrer l’impact cela. Un participant doit suivre une scène en mouvement: un objet qui se déplace purement en translation à 5cm/s et un même objet qui se déplace en angle. La vélocité perçue pour le second objet sera beaucoup moins. Le cerveau doit l’interpréter comme étant la même vitesse pour pouvoir prédire, par exemple, l’emplacement de l’objet à un temps donné. Il est donc nécessaire d’être dans un environnement 3D pour être représentatif de la réalité.

L’autre élément que le NeuroTracker prend en compte est la vitesse. On ne parle pas ici de la vitesse de réaction de l’individu. Lorsqu’on prend des athlètes, ce temps est très similaire et ça ne permet pas de déterminer si un athlète est supérieur à l’autre au niveau professionnel. On vient plutôt observer la rapidité du traitement de l’information, car c’est là qu’il y a le délai.

En quoi consiste la tâche à effectuer avec le NeuroTracker ?

Le modèle ayant bien été défini, Dr Faubert est par la suite venu expliquer en détail la tâche effectuée dans le cadre de l’article d’intérêt : « Perceptual-cognitive three-dimensional multiple-object tracking task can help the monitoring of sport-related concussion ». Plusieurs modes sont disponibles avec le NeuroTracker. Celui qui est utilisé par l’équipe de recherche est le mode « Core ».

Dans ce mode, on présente aux participants un certain nombre de sphères. Certaines de ces sphères sont des cibles et les autres servent de distracteurs. Un flash présente les cibles au début de la tâche. Celles-ci se mettent en mouvement à une certaine vitesse. Le participant doit ensuite identifier correctement les sphères cibles. Si cela est fait avec succès, la vitesse de déplacement des sphères augmente. Dans le cas d’une erreur, la vitesse diminue. À la fin de la tâche, un système d’intelligence artificielle vient chercher le seuil de vitesse pour l’individu.

« Chaque personne à son seuil et pour les athlètes on voit une différence dans ce seuil, ce qui montre une différence interindividuelle dans la vitesse et la capacité de traitement de l’information », mentionne D. Faubert.

Cette tâche est répétée plusieurs fois et consiste en un entraînement à la tâche. Ceci sert à obtenir une courbe d’apprentissage ainsi que de l’information importante sur la plasticité neuronale par rapport à la tâche demandée.

 

« Return-to-play » des athlètes: Que peut faire le NeuroTraker pour aider les neurologues à prendre cette décision ?

Le « return-to-play » (RTP) est crucial lorsqu’on fait affaire avec des athlètes ayant subi une commotion cérébrale. Comme mentionné dans l’article, les auteurs ont démontré que NeuroTracker pouvait être utilisé comme outil permettant de guider la décision du RTP. Comment est-ce que cette conclusion a été tirée ?

J. Faubert : Quand un athlète est commotionné, s’il ne dit pas qu’il a des symptômes, tu ne le sauras pas. Les tests standard, ex : tests d’équilibre et de cognition (SCAT), ne sont pas assez sensibles. Il est plus facile de les passer pour revenir rapidement au jeu. Quand les neurologues font passer quelqu’un sur le NeuroTracker, ils (les athlètes) n’étaient pas du tout proches de leur seuil. Pourquoi ne serait-il pas capable d’avoir le même score ? Le NeuroTracker vient chercher des combinaisons de mécanismes qui sont importants dans la performance. Il va chercher plusieurs systèmes en même temps tout comme dans la réalité : attention focalisée, attention dynamique, mémoire de travail. Si quelqu’un n’a pas un score à l’intérieur d’une marge au NeuroTracker, le neurologue ne le retournera pas au jeu.

 

En quoi est-ce que cette méthode est plus fiable et représentative de la réalité ?

Dans l’article, les chercheurs viennent faire une première étape de validation de la mesure par NeuroTracker ce qui leur donne de l’information qu’ils ne peuvent pas obtenir à l’aide de tests usuels (SAC et M-BESS). La validation a montré que le NeuroTracker est plus sensible à l’effet de la commotion et de la récupération que d’autres tests utilisés comme standard dans l’industrie. À présent, comment est-ce que les tâches corrèlent bien avec la réalité ?

Pour répondre à cette question, Dr Faubert a expliqué les trois étapes de validation de l’approche qui ont été employées pour confirmer la corrélation entre la tâche dans le NeuroTracker et la réalité.

1) La première étape est celle de l’établissement d’une corrélation entre le niveau de performance et les capacités de faire la tâche.

2) La seconde étape peut être formulé par la question suivante: Est-ce que, si tu fais une mesure avec cette tâche, c’est un prédicteur de la prise de décision sur le terrain ?

J. Faubert : Il y a un groupe de scientifiques sportifs d’une Université en Floride qui ont mesuré le seuil d’athlètes avec le NeuroTracker, ainsi que plusieurs autres paramètres. Ils ont regardé la performance des joueurs pendant l’année au niveau de la prise de décision (le nombre de passes réussies, le nombre d’interceptions …). Ils ont moyenné par rapport aux minutes jouées et ils ont corrélé ça pour voir s’il y avait une relation. Le NeuroTracker avait 78% de relation avec la prise de décision. Tous les autres tests avaient une belle représentation aléatoire. Ce deuxième point montre qu’il y a des systèmes qui sont partagés entre la prise de décision et le NeuroTracker.

3) La dernière étape était de démontrer un transfert éloigné. Voici ce que Dr Faubert et son équipe ont fait pour démontrer cela.

J. Faubert : Dans un projet, on a pris l’équipe de soccer des Carabins de Montréal qu’on a séparé en trois groupes : entraîné avec le NeuroTracker, entraîné avec un entraînement placebo et control. On faisait une pré-évaluation sur un terrain réduit pour avoir beaucoup de passes et agrandir l’échantillon. On a pris de l’information et on a tout numérisé avec des caméras de haute résolution. On avait une grille d’évaluation qui avait été standardisée dans la littérature et évaluée par un coach professionnel pour éliminer les biais. Le seul groupe qui a eu une amélioration était celui du NeuroTracker, et ce d’environ 15% dans la prise de décision.

C’est donc grâce à de nombreuses études faites préalablement qu’on peut conclure sur la validité et de la fiabilité de cette méthode. Cela consiste en une des raisons pourquoi cette technologie est reconnue mondialement, entre-autre, dans le monde sportif (club de soccer APL), LNH, ligue professionnelle de rugby) et chez les militaires. Ce qui différencie le NeuroTracker des autres inventions sortant de laboratoire, c’est que ce n’est pas un marteau, ni une voiture, ni un objet. C’est de la science que le Faubert Lab et « Nothing Artificial » produit et vend. Comme l’a dit Dr Faubert lors de l’entrevue : « Le produit est seulement aussi bon que la science. Autrement dit, la science a soutenu l’idée et c’est ça qui donne de la valeur au produit ».

 

Références :

[1] J. Chermann, T. Romeas, F. Marty and J. Faubert, “Perceptual-cognitive three-dimensional multiple-object tracking task can help the monitoring of sport-related concussion”, BMJ Open Sport & Exercise Medicine, vol. 4, no. 1, p. e000384, 2018. Available: 10.1136/bmjsem-2018-000384.

[2] “La recherche à l’UdeM: Jocelyn FAUBERT”, Recherche.umontreal.ca, 2019. [Online]. Available: https://recherche.umontreal.ca/nos-chercheurs/repertoire-des-professeurs/professeur/is/in13620/. [Accessed: 06- Apr- 2019].

[3] “Peer-reviewed Scientific Studies | NeuroTracker”, NeuroTracker, 2019. [Online]. Available: https://neurotracker.net/organizations/scientific-studies/. [Accessed: 10- Apr- 2019].

[4] “NeuroTracker Delivers Cognitive Training for ADHD and Other Disorders”, Fitness Gaming, 2019. [Online]. Available: https://www.fitness-gaming.com/news/health-and-rehab/neurotracker-delivers-cognitive-training-for-adhd-and-other-disorders.html. [Accessed: 10- Apr- 2019].

[5] “NeuroTracker Demo – Create, Discover and Share Awesome GIFs on Gfycat”, Gfycat, 2019. [Online]. Available: https://gfycat.com/fr/heavysnarlingapatosaur. [Accessed: 09- Apr- 2019].

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