L’imagerie de tissus osseux, un pas de géant pour l’ultrason!

J’ai récemment eu le plaisir de discuter avec Dr. Pierre Bélanger, professeur au département de génie mécanique de l’École de Technologie Supérieure (ETS), sur ses récentes recherches portant sur la tomographie ultrasonore à des fins de diagnostic de l’ostéoporose.

Dr. Pierre Bélanger

Diplômé en génie mécanique de l’université Laval puis d’une maîtrise en acoustique à l’université de Sherbrooke, Dr. Bélanger entreprend ensuite un doctorat à l’Imperial College à Londres où il travaille sur une technique pour mesurer l’épaisseur résiduelle d’un pipeline par tomographie ultrasonore. Aujourd’hui, il utilise cette modalité d’imagerie pour réaliser des tests non destructifs sur des structures métalliques dans une vaste gamme d’industries; du moteur ou de l’aile d’avion chez Pratt&Whitney jusqu’à des composantes du pont Jacques Cartier. Ces tests s’assurent de l’absence de défauts dans une composante et représentent ainsi une grande valeur ajoutée.

C’est lors d’une rencontre avec un orthopédiste de l’hôpital de Sacré-Cœur, que l’idée d’appliquer la tomographie ultrasonore pour diagnostiquer l’ostéoporose s’est dessinée.

«La voleuse silencieuse»

L’ostéoporose, surnommée la voleuse silencieuse, est une maladie des os évoluant sur plusieurs années qui passe souvent inaperçue jusqu’à ce qu’elle se soit déjà bien développée. Elle se caractérise par une perte de masse osseuse. Cette condition fragilise les os et les rend plus prompts à une fracture en cas de chute. Plus de 2 millions de Canadiens souffrent d’ostéoporose où une 1 femme sur 3 et un homme sur 5 subiront une fracture causée par l’ostéoporose au cours de leur vie (Ostéoporose Canada, 2018). De par la nature évolutive de la maladie, il est important de diagnostiquer la maladie à ses débuts afin d’éviter des complications.

L’outil le plus commun de diagnostic de l’ostéoporose est l’absorptiométrie biénergétique à rayons X (DXA). Cette technique a été prouvée inefficace en raison de son faible taux de détection (17.1%). DXA mesure la densité minérale osseuse, ce que la littérature a montré être non représentative de la perte de masse osseuse. La méthode est si peu sensible qu’il faut dix ans de variation de densité osseuse pour obtenir un diagnostic clair. Ce dont les médecins auraient besoin est une réponse claire sur le risque de fracture. Pour l’heure, ils se basent plutôt sur des facteurs de risque : fumer, historique familiale, condition physique.

L’utilité de la tomographie ultrasonore

La propagation d’ondes ultrasonores, quant à elles, est sensible à plusieurs paramètres osseux dont les propriétés mécaniques, le volume ainsi que la microstructure de l’os. L’étude menée par Dr. Bélanger a mise à profit cette sensibilité pour produire par tomographie ultrasonore une cartographie de la vitesse du son qui dépend directement du module d’élasticité de l’os, indice de la qualité de l’os. Plus la vitesse est élevée, plus le module d’élasticité de l’os est élevé et meilleure est la qualité de l’os.

Les techniques typiques de tomographie ultrasonore sont limitées à imager des objets dont le contraste de vitesse de son avec le milieu est faible. En effet, la vitesse du son et la densité dans un solide sont considérablement plus élevées que celles dans un tissu mou, engendrant un changement d’impédance énorme. De même, à une fréquence donnée, l’atténuation d’un tissu dur est supérieure à celle d’un tissu mou. La complexité du phénomène d’atténuation dans les tissus durs provient des réflexions aux frontières, de la porosité, des conversions des modes, de la perte d’anisotropie ou encore de mouvements fluidiques qui caractérisent les tissus osseux. L’atténuation est un des principaux facteurs limitants de la tomographie ultrasonore de tissus durs. Au détriment de la résolution de l’image, une façon de diminuer l’atténuation dans les tissus est d’utiliser des fréquences relativement basses.

L’algorithme HARBUT

Une technique permettant d’imager un objet qui possède un fort contraste de vitesse de son relatif à son milieu a été proposé par Huthwait and Simonetti. Leur algorithme HARBUT combine une tomographie bent-ray TOF (BRT) et une tomographie par diffraction (DT) à des fins de mammographie.

La tomographie par diffraction (DT) utilisant l’approximation de premier ordre de Born est la principale méthode pour cartographier les vitesses du son à l’intérieur d’objets très diffractant. Cependant, cette approximation ne tient que si le changement de phase entre l’objet et son milieu est inférieur à pi. Or, que ça soit pour un os ou un sein dans le cas de l’étude de Huthwait and Simonetti, cette approximation ne tient plus. Huthwait and Simonetti palie à cette limitation en utilisant une tomographie bent-ray TOF (BRT). Celle-ci réduit le changement de phase entre l’objet et le milieu en simulant, dans un processus itératif, un nouveau milieu avec un plus petit changement de phase.

Le changement de phase, un problème complexe!

L’équipe de Dr. Bélanger a adapté l’algorithme HARBUT afin d’imager le radius qui possède un phénomène de changement de phase plus complexe que le sein. Le radius est aujourd’hui considéré comme un os à partir duquel on peut prédire l’ostéoporose. Il est important de rappeler que l’os est composé de deux parties : à l’entour l’os cortical, dur, et au milieu l’os trabéculaire, mou.

La complexité liée au changement de phase vient de la conversion des ondes à l’interface fluide/solide. Quand l’onde frappe l’interface de l’os cortical, elle se divise en (1) une onde longitudinale, soit l’onde qui continue sa course initiale dans l’os et le traverse complètement. C’est cette conversion qui est à l’étude pour la reconstruction tomographique. Il y a cependant aussi conversion en (2) une onde guidée ultrasonique. Puisque nous sommes à des fréquences relativement basses, la longueur d’onde du signal est plus ou moins de la même dimension que l’épaisseur de l’os cortical. Cette situation résulte à la formation d’une onde guidée qui se déplace dans l’os cortical et irradie ensuite dans le milieu, l’eau. Cette onde est plus rapide que celle qui nous intéresse, l’onde longitudinale. Cela pose un problème car généralement dans l’imagerie ultrasonore on prend toujours le mode le plus rapide.

Pour pallier ce problème particulier, l’équipe a élaboré un algorithme de post-traitement des données. Celui-ci a pour but de séparer la contribution de chacune des différentes ondes afin de calculer le time-of-flight ainsi que la composante fréquentielle de l’onde longitudinale. Pour se faire, l’algorithme utilise une combinaison de thresholding et du critère d’information d’Akaike (AIC). De plus, si plus d’une onde arrivent dans une fenêtre de temps rapprochée, une analyse par courbature de la transformée de Hilbert permet de les différentier.

Set-up

La construction du système a été réalisée au courant de la maîtrise de Timothée Falardeau. Les tests ont été conduits sur des fantômes commerciaux de radius ostéoporotiques et sains dont la densité, vélocité et atténuation sont connus. Le système (figure 1) est constitué de deux transducteurs Olympus, un récepteur et un transmetteur, attachés à des moteurs pas-à-pas plongés dans un bassin d’eau. Ces moteurs sont montés sur un anneau en aluminium qui permet la rotation des transducteurs autour du fantôme qui est plongé dans l’eau.

 

 Figure 1 : Test Bench du système de tomographie ultrasonore

 

Des résultats prometteurs

Les résultats expérimentaux sont très prometteurs. En effet, le système a permis avec succès de différencier un os sain d’un os ostéoporotique!

En ce qui concerne les résultats de l’os cortical, la vitesse du son de l’os sain est significativement plus élevée que celle de l’os ostéoporotique. Ces valeurs correspondent à celles attendues puisque cela signifie que l’os sain possède un plus haut module d’élasticité. Tel que montré à la figure 2, ces résultats permettent ainsi de différentier les deux os. La cartographie des vitesses de son dans l’os sain montre effectivement une couleur blanche plus intense, correspondant à des vitesses supérieures.

Figure 2: Cartographie des vitesses de son dans (gauche) l’os ostéoporotique, et dans (droite) l’os sain

Le succès de la différenciation des deux os en fonction de la vitesse du son laisse à penser qu’un indice de risque de fracture utile aux médecins pourrait être formuler à partir de cette valeur de vitesse.

Quelques limitations au système ont cependant été notées. Tout d’abord, les vitesses calculées expérimentalement sont légèrement sous-estimées comparativement aux vitesses exactes fournies par le fabricant des fantômes. D’autre part, pour ce qui est de l’os trabéculaire, la vitesse du son dans l’os sain est inférieure à celle dans l’os cortical ce qui est incohérent avec ce qui était attendu.

L’avantage d’utiliser l’algorithme HARBUT est la combinaison de l’exactitude de BRT et de la bonne résolution de DT. La prise en compte de l’effet de diffraction permet d’avoir une meilleure image. C’est avec surprise que l’équipe a ainsi été capable de ressortir une propriété supplémentaire du fantôme: l’épaisseur de l’os cortical. Cette épaisseur a été évaluée avec une erreur maximale de 2mm et une erreur moyenne de 0.4mm. Cette mesure permet de soutenir les résultats de vitesses de son dans la différentiation d’un os sain d’un os ostéoporotique.

Défis à venir

Le caractère fortement novateur de l’étude représente une marche de géant dans l’imagerie par ultrasons. En effet, c’est une première en ce qui concerne l’imagerie ultrasonore de tissus osseux. Si on la compare avec le CT scan et l’IRM, cette modalité d’imagerie a l’avantage de ne générer aucun effet négatif sur la santé du patient et d’être très peu coûteuse. Il est ainsi important de d’encourager le développement de l’ultrason et d’optimiser ses applications.

Depuis la réalisation de l’étude, le système a été testé sur des os cadavériques. Les résultats ont permis avec succès de différencier un os ostéoporotique d’un os sain à l’aide de la vitesse du son et de l’épaisseur de l’os cortical.  

Toutefois, certains défis restent à être adressés par l’équipe. La sous-évaluation des vitesses du son de l’os cortical en est un exemple. De plus amples analyses sur son impact réel sur le diagnostic restent à être réalisées afin de voir si cette sous-évaluation est la même chez tous les patients. Pour ce qui est de l’inexactitude des vitesses de son de l’os trabéculaire, il reste à déterminer si cette information de l’os trabéculaire est pertinente dans le diagnostic de l’ostéoporose.

Un autre défi à prendre en compte lors des prochaines étapes est le choix de l’os à évaluer. Tel qu’expliqué par Dr. Bélanger, l’emploi du radius poserait un problème dans une évaluation clinique car l’avant-bras n’est pas juste composé du radius. On aurait alors environ ¾ de la conférence qui serait accessible facilement et ¼ qui serait caché par l’autre os, le cubitus. Cela engendrerait une dégradation partielle de la qualité de l’image.

Aujourd’hui, le principal frein à l’évolution du projet et à sa translation clinique, est l’envergure des procédures pour l’approbation des tests cliniques d’un dispositif médical.

Les résultats de l’étude conduite par Dr. Bélanger sont forts encourageants. Bien que la résolution de l’image résultante ne soit pas comparable à celle obtenue avec l’IRM et le CT scan, l’application de l’ultrason pour analyser les propriétés mécaniques de l’os ouvre de nouvelles possibilités de recherches.

Pour finir, j’aimerais remercier Dr. Bélanger pour son temps et sa disponibilité. Je lui souhaite à lui et à son équipe une très bonne continuité dans leurs recherches!

Références

Timothe Falardeau, Pierre Belanger. (2018). Ultrasound tomography in bone mimicking phantoms: Simulations and experiments. Journal of the Acoustical Society of America, vol.144, p. 2937-2946. doi: 10.1121/1.5079533

Ostéporose Canada. (2019). À propos de la maladie. Tiré de https://osteoporosecanada.ca/a-propos-de-la-maladie/

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