Au cœur (en 3D) de la recherche en ultrasons !

Jean Provost, Professeur adjoint (Département de génie physique, Polytechnique Montréal)

Comme vous le savez certainement, la chauve-souris utilise les ultrasons afin de se localiser dans l’espace, mais également de repérer sa proie et déterminer sa vitesse par effet Doppler pour l’attraper en plein vol. L’imagerie ultrasonore, à l’instar de la chauve-souris, permet de visualiser à la fois les différentes structures de l’organisme (organes, vaisseaux), mais également de calculer leurs vitesses (tissus, sang…). Avec une cadence de 50 images par secondes, l’imagerie ultrasonore dite « conventionnelle » permet ainsi de visualiser en temps réel des phénomènes physiologiques qui se déroulent au sein de notre corps, comme une carotide qui se vide puis se remplit au rythme des battements cardiaques.

Et si l’on pouvait aller plus loin, et augmenter la cadence d’imagerie afin de visualiser des phénomènes très rapides ? C’est ce qu’a démontré l’Institut Langevin à Paris dès 20081 : une cadence d’imagerie 100 fois plus rapide, permettant par exemple d’observer les turbulences dans la carotide. Et si l’on pouvait aller encore plus loin, et appliquer cette méthode ultrarapide en 3D ? C’est ce que propose pour la première fois en 2014 Jean Provost, alors chercheur à l’Institut Langevin, dans l’article « 3D ultrafast ultrasound imaging in vivo »2.

Nous avons pu rencontrer Jean Provost à Polytechnique Montréal : nouveau professeur depuis juin 2018, son laboratoire développe de nouvelles techniques ultrasonores, de la théorie à leur éventuelle application clinique, en passant par des tests sur les animaux. Pour le moment, les grandes thématiques du laboratoire sont axées sur l’imagerie ultrarapide, et comprennent l’imagerie du cerveau, l’imagerie du cœur et le développement de nouvelles technologies pour l’imagerie ultrasonore 3D.

 

Figure 1 – Principe de l’utilisation de sources virtuelles en imagerie ultrasonore 3D. La sonde est représentée par une matrice d’éléments, et les sources virtuelles sont placées derrière. A gauche, les sources virtuelles sont placées près de la sonde, ce qui a pour effet de générer des ondes sphériques. A droite, les sources virtuelles sont placées loin de la sonde, ce qui permet de produire des ondes planes. Il suffit alors de générer plusieurs ondes provenant de plusieurs sources et de les sommer afin de former une image 3D.

Mais tout d’abord, en quoi consiste l’imagerie ultrarapide ? En 2D, le principe est d’envoyer une ou plusieurs ondes planes ou sphériques à l’aide d’une sonde ultrasonore 2D, puis de les additionner afin de former une image. De la même façon, en 3D, des sources dites « virtuelles » sont placées derrière la sonde ultrasonore 3D et émettent des ondes planes ou sphériques, selon la distance à laquelle elles sont. Il suffit alors, comme en 2D, de sommer ces ondes afin d’obtenir une image finale en 3D, composée de voxels. Afin d’améliorer la qualité de l’image en 2D comme en 3D, il est nécessaire d’augmenter le nombre d’ondes planes ou sphériques envoyées, et de les additionner. Pour améliorer la résolution, il suffit d’augmenter la fréquence de l’onde envoyée, car celle-ci est directement liée à la taille du pixel (et respectivement du voxel) : plus la fréquence est élevée, plus le pixel (et respectivement le voxel) sera petit, et donc plus la résolution sera grande. Habituellement lorsque l’on teste une sonde ultrasonore 2D, on utilise des fantômes contenant un fil (par exemple un fil de pêche en nylon) pour en mesurer la résolution. En 3D, idéalement, la résolution devrait être mesurée avec des billes. Cependant, il est difficile de placer des billes de quelques microns dans un gel de façon contrôlée et de les voir parmi le speckle (contrairement à un fil que l’on peut suivre dans l’image). En 3D, la résolution est donc mesurée non pas sur fantômes mais sur des études in vivo directement.

 

Figure 2 – Images ultrarapides Doppler Couleur du cœur en 3D, à plusieurs moments du cycle cardiaque. En bleu, on peut observer le sang du cœur qui se vide ; en rouge, le sang du cœur qui se remplit.

Il existe trois modes d’imagerie Doppler différents en imagerie ultrasonore conventionnelle : le Power Doppler, qui permet de mesurer une quantité qui est liée au volume sanguin dans chaque pixel ; le Doppler Couleur, qui permet de faire une image des flux et donne une information sur la direction des flux avec une cartographie bleue et rouge ; le Doppler Pulsé, qui permet de faire une mesure quantitative des flux localement. Cependant, l’imagerie Doppler conventionnelle ne permet pas d’obtenir les 3 modes à la fois en une seule acquisition : il est nécessaire de faire plusieurs tirs localement afin d’être quantitatif, mais on perd de l’information sur le reste de l’image. Il n’est donc pas possible d’être à la fois quantitatif et conserver un champ de vue suffisamment large.

En imagerie ultrarapide 2D ou 3D, ces trois techniques n’en deviennent qu’une : à partir d’une seule acquisition, on peut générer une image en chaque mode (Power Doppler, Doppler Couleur et Doppler Pulsé), ce qui permet d’obtenir toutes les informations nécessaires à la fois. Dans l’article, cette technique 3D a été employée sur le cœur ainsi que sur la carotide, pour en visualiser les mouvements de tissus et de flux sanguin : on montre par exemple que l’on peut cliquer sur n’importe quel voxel d’une carte Power Doppler de la carotide, et obtenir une mesure quantitative du flux en Doppler Pulsé, à partir de la même acquisition.

 

Figure 3 – Images ultrarapides de la carotide en 3D, à plusieurs millisecondes d’intervalle. En bas à gauche : vue du dessus de la carotide, sur laquelle on peut clairement visualiser une bifurcation. Une carte de Power Doppler (en jaune) montre les mouvements du sang. En bas : vue longitudinale de la carotide, à plusieurs millisecondes d’intervalle. Une carte de Doppler Couleur (en rouge et bleu) montre les mouvements des parois du vaisseau, superposée par-dessus la carte de Power Doppler. En haut : une section transverse de la carotide montre sa bifurcation en deux vaisseaux. A droite : on peut visualiser l’information quantitative sur le flux sanguin au niveau de la bifurcation, en plusieurs voxels de l’image 3D. La vitesse (en cm/s) est ici représentée en fonction du temps en Doppler Pulsé.

L’appareillage pour l’imagerie 3D est légèrement différent de celui utilisé pour l’imagerie 2D. Une sonde ultrasonore 2D est un vecteur composé de petits éléments carrés, et chacun des éléments agit comme une source ultrasonore : en contrôlant les délais sur chacune de ces sources, on peut créer une lentille virtuelle pour émettre différents types d’ondes (focalisées, planes ou sphériques). En 3D, on a non plus un vecteur mais une matrice carrée d’éléments. Habituellement, une sonde 2D est composée de 64 à 128 éléments, dont la plupart sont utilisés à la fois en émission et en réception. Pour obtenir une qualité d’image équivalente en 3D, il faudrait une matrice de 64×64 ou 128×128 éléments. Or, le prix d’une sonde et de l’appareil capable de traiter les signaux reçus augmentent exponentiellement en fonction de la taille de la sonde et surtout de son nombre de canaux en réception. Cela explique pourquoi, dans cette étude, la sonde 3D était composée de 32×32 éléments « seulement ».

Les avantages apportés par la 3D sont multiples. En 2D, pour mesurer un flux sanguin en Doppler, il est nécessaire de placer la sonde de façon à obtenir le vaisseau dans le plan de l’image : si le vaisseau est dans le sens transverse de façon à n’obtenir qu’une section de celui-ci, le flux ne sera pas mesuré. De plus, en 2D, on ne mesure qu’une seule composante de la vitesse du sang. L’imagerie 3D permet non seulement de s’affranchir de la difficulté de se placer dans le plan du vaisseau, mais également de reconstruire les mouvements du sang dans toutes les directions de l’espace. De même, en 2D, quand on essaye de mesurer la rigidité des tissus, on génère une onde de cisaillement dans les tissus et on en mesure la vitesse. Mais si le tissu est anisotrope (comme dans le cœur), il faudrait mesurer la vitesse dans toutes les directions de l’espace, ce qui ne peut se faire qu’avec une sonde 3D. De plus, l’imagerie 3D a récemment permis de voir l’orientation des fibres dans le cœur, ce qui jusqu’ici pouvait seulement être fait en IRM avec des acquisitions de plusieurs dizaines de minutes. Ici, en ultrasons, on peut le faire en une seconde seulement.

Enfin, cet article présente un nouvel appareil qui permet non seulement de généraliser les différents modes que l’on a déjà vus en 2D, mais aussi et surtout de développer de nouveaux types de biomarqueurs. Avec l’échographie ultrarapide 3D, en une seule acquisition, on est maintenant capables d’aller chercher tous les biomarqueurs cliniques qui sont utilisés en cardiologie : variations de la vitesse du sang à certains endroits dans le cœur, mouvements des tissus… D’habitude, il faut faire une acquisition différente pour chaque paramètre, ce qui pose problème dans le cas par exemple d’un patient arythmique (chaque rythme cardiaque n’est pas parfaitement identique). Cela augmente aussi le risque d’erreur : parfois on veut mesurer deux quantités différentes au même endroit, mais en faisant deux acquisitions subséquentes, il est possible que la sonde ait bougé, etc. En 3D, on peut donc non seulement mesurer tous ces paramètres en une seule acquisition, mais aussi éventuellement mesurer de nouveaux paramètres qui n’étaient pas accessibles avant, car on a maintenant accès à la fois aux mouvements de la paroi et à ceux du sang. On peut donc mesurer de nouvelles quantités (ou « biomarqueurs ») : il reste maintenant à déterminer si elles peuvent être reliées à des maladies cardiovasculaires, afin d’aider à établir plus facilement un diagnostic de celles-ci.

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Références :

1. Gabriel Montaldo, Mickaël Tanter, Jérémy Bercoff, Nicolas Benech, and Mathias Fink, “Coherent Plane-Wave Compounding for Very High Frame Rate Ultrasonography and Transient Elastography”, IEEE Transactions on Ultrasonics, Ferroelectrics, and Frequency Control, vol. 56, no. 3, March 2009.

2. Jean Provost, Clement Papadacci, Juan Esteban Arango, Marion Imbault, Mathias Fink, Jean-Luc Gennisson, Mickael Tanter1 and Mathieu Pernot, “3D ultrafast ultrasound imaging in vivo”, Phys. Med. Biol., 59 (2014).

Figures :

Jean Provost, Clement Papadacci, Juan Esteban Arango, Marion Imbault, Mathias Fink, Jean-Luc Gennisson, Mickael Tanter1 and Mathieu Pernot, “3D ultrafast ultrasound imaging in vivo”, Phys. Med. Biol., 59 (2014).

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