Le futur de la chirurgie cardio-vasculaire : des prothèses personnalisées?

Nous avons eu la chance d’avoir une entrevue avec le professeur Gregory De Crescenzo, ancien titulaire d’une Chaire de recherche du Canada sur les biomatériaux protéinés, à propos de son article « A highly versatile adaptor protein for the tethering of growth factors to gelatin-based biomaterials »(2017)1 . Le travail de Dr De Crescenzo et son équipe permettra de concevoir des prothèses modulaires et personnalisables, notamment des prothèses vasculaires.

Cheminement du Dr De Crescenzo

Professeur De Crescenzo

 Gregory a un cheminement en génie biotechnologique en Europe, où il a obtenu le titre d’ingénieur, et est ensuite venu au Canada pour compléter un doctorat en biochimie à l’université McGill. Il a ensuite orienté sa carrière en poursuivant un post-doctorat en biophysique. Désormais professeur titulaire à l’école Polytechnique de Montréal, Dr De Crescenzo a orienté ses recherches vers le génie tissulaire puisque « les problèmes de santé seront, dans les prochaines années, un enjeu majeur de notre société, car la population est vieillissante » estime-t-il. C’est cette voie qui lui a permis de répondre à ses aspirations tant au niveau de l’avancement de la recherche sur la santé qu’au niveau de l’implication sociale qu’un tel domaine implique.

Les travaux de recherche du Dr De Crescenzo visent à imiter le potentiel de la matrice extracellulaire, qui joue un rôle clé dans la communication entre les cellules, dans le but de favoriser la régénération tissulaire. Il s’emploie également à accroître l’efficacité de certaines thérapies géniques en mettant au point des vecteurs d’ADN non viraux.

Le complexe protéique

Dans le cadre de cette recherche, Dr De Crescenzo a conçu un complexe protéique qui permet la liaison de facteurs de croissance à divers types de matériaux et structures. En effet, il utilise deux peptides complémentaires, l’un lié aux facteurs de croissance et l’autre aux matériaux souhaités. Les peptides en question sont nommés Ecoil et Kcoil et le choix de ces peptides s’imposait, affirme Dr De Crescenzo, puisque c’est un système d’accroche sur lequel lui et son équipe travaillent depuis une quinzaine d’années. Ce complexe protéique est modulaire, puisqu’il utilise différents peptides pour accomplir les liaisons avec les facteurs de croissance et avec les biomatériaux. Cette façon de faire modulaire apporte de nombreux avantages. Cela permet notamment d’utiliser le même système pour attacher une molécule donnée sur différents matériaux ou encore de « modifier les propriétés de l’interaction (stabilité, force de l’interaction) entre les peptides en modifiant seulement l’un ou l’autre des peptides ».
Cette dernière propriété procure un avantage dans les cas où, par exemple, on voudrait un relargage du facteur de croissance dans le temps. Il suffirait alors de modifier la séquence d’un des deux peptides pour diminuer la stabilité du complexe qu’ils forment. À l’opposé, dans le cas où l’on voudrait augmenter la stabilité du complexe protéique, il suffirait d’augmenter la longueur des peptides.

Schématisation de la stratégie d’attache basée sur les complexes protéinés. (Addi et al. 2017)

Ce système d’accroche semble d’autant plus prometteur puisque lors d’injections in vivo de protéines étiquetées de ces peptides, aucune réponse immunitaire n’a été remarquée. En effet : « Même si les peptides sont synthétiques, ils ne sont pas immunogènes à première vue », nous confirme Dr De Crescenzo.
Également, le complexe protéique a une demi-vie d’environ deux jours. Ce temps de demi-vie est suffisamment élevé pour donner un avantage aux cellules quant à leur prolifération dans les essais in vitro. Pour confirmer que ce temps permettrait le même résultat dans des conditions physiologiques, seuls des essais in vivo pourraient le déterminer, puisque « c’est très dur à prédire ».

 

Du complexe protéique à la prothèse

Cette technique pourrait-elle être prometteuse pour l’intégration de prothèses vasculaires?
Dr De Crescenzo: Oui, en collaboration avec les équipes des professeurs Lerouge (ÉTS) et Wertheimer (Polytechnique, génie physique) nous avons conçu des revêtements de prothèses vasculaires utilisant ce même complexe protéique lié au facteur de croissance épidermique (Epidermal Growth Factor).
Ces prothèses sont similaires à des ressorts dont le but est de dilater le vaisseau sanguin obstrué et d’éviter la thrombose. Dans ce cas, les facteurs de croissance sont donc greffés à l’extérieur de la prothèse, en contact avec la paroi du vaisseau sanguin. L’avantage de ce type de prothèse et qu’il permet une opération minimalement invasive.
Un autre type de prothèse est maintenant envisagé, dans le but de remplacer complètement une partie du vaisseau sanguin. L’échafaudage de la protéine est constitué de polysaccharides et dans le lumen de la prothèse sont greffés les facteurs de croissance grâce au complexe protéique. Le but étant d’aider l’accroche et la prolifération cellulaire à l’intérieur de la prothèse. Les cellules de l’hôte vont donc recouvrir la paroi de la prothèse pour la rendre similaire à du vivant, ce qui favorise son intégration.

Pourquoi utiliser une structure en polysaccharide pour la conception des prothèses?

Dr De Crescenzo: Le but de ces prothèses est principalement de remplacer la matrice extracellulaire, mais pour ce faire, nous avons décidé de séparer les fonctions physiques et chimiques. En utilisant une structure en polysaccharide, nous avons pu rendre cette structure la plus inerte possible. Nous greffons ensuite des molécules bioactives sur cette structure. Cela permet d’évaluer la performance des molécules bioactives uniquement, sans avoir d’effets potentiellement indésirables que pourrait apporter une structure elle-même bioactive.

Quelles sont les perspectives d’avenir pour de telles prothèses?

Dr De Crescenzo: Un champ de recherche très investigué en génie tissulaire est la conception de structures qui s’auto-assemblent. Il serait donc possible d’injecter des échafaudages sous forme liquide. Le but étant que l’échafaudage se forme en épousant la forme du défaut qu’il vient combler en s’adaptant précisément aux organes ou tissus du patient. L’un des buts du laboratoire est effectivement de concevoir ces structures auxquelles seraient greffés des facteurs de croissance. Cela apporte de nombreux avantages, notamment un ajustement de l’échafaudage à la zone lésée, mais aussi une intervention minimalement invasive, lorsque comparée aux approches traditionnelles.

Votre système d’accroche pourrait-il avoir d’autres utilités que les prothèses vasculaires, tel que jouer le rôle des protéines SNARE2?

Dr De Crescenzo : Oui, le complexe protéique pourrait avoir d’autres utilités, grâce à son adaptabilité. Il est possible d’effectuer la fusion de vésicules en utilisant ce principe de liaison est ça s’est déjà fait auparavant.
En effet, un autre groupe de chercheurs a utilisé une technique similaire pour livrer de l’ADN interférant à l’intérieur d’une cellule.


1 Cyril Addi, Frédéric Murschel, Benoît Liberelle, Nesrine Riahi, Gregory De Crescenzo. A highly versatile adaptor protein for the tethering of growth factors to gelatin-based biomaterials. Acta Biomaterialia. 2017; 50: 198-206. https://doi.org/10.1016/j.actbio.2017.01.014

2 Les protéines SNARE sont des protéines qui permettent l’endocytose, c’est-à-dire permettent la fusion de deux vésicules.

Référence: Cyril Addi, Frédéric Murschel, Benoît Liberelle, Nesrine Riahi, Gregory De Crescenzo. A highly versatile adaptor protein for the tethering of growth factors to gelatin-based biomaterials. Acta Biomaterialia. 2017; 50: 198-206. https://doi.org/10.1016/j.actbio.2017.01.014

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *