Tomographie optique diffuse, une méthode prometteuse?

Tomographie optique diffuse, une méthode prometteuse?

Par Simon Blais

 

Présentation du LIOM et du projet de recherche de Samuel Bélanger par Frédéric Lesage, directeur du laboratoire

Laboratoire d’Imagerie Optique et Moléculaire

Le LIOM (Laboratoire d’Imagerie Optique et Moléculaire), situé à l’école Polytechnique de Montréal, dont les travaux portent sur les techniques de l’imagerie optique (utilisation de la lumière) appliquée aux milieux biologiques, vise principalement à comprendre le fonctionnement du cerveau. Le laboratoire compte environ 20 personnes qui travaillent, entre autres, à développer la technique d’imagerie proche infrarouge fonctionnelle,  afin de pouvoir étudier le langage, le vieillissement et l’épilepsie chez l’humain. Des techniques similaires ont également été développées afin d’essayer de comprendre ces mêmes mécanismes chez la souris et le rat. Plus récemment, le LIOM a travaillé sur des techniques d’imageries microscopiques, comme la tomographie par cohérence optique, la microscopie à deux et trois photons, l’imagerie optique intrinsèque et l’imagerie par fluorescence, le tout afin d’étudier différentes composantes de la réponse du cerveau.

Le projet de Samuel va également dans cette direction mais s’inscrit plutôt dans la branche de l’imagerie moléculaire, également étudiée par ce laboratoire. Cette technique utilise la lumière en combinaison avec des agents de contrastes, comme des fluorophores ou des agents de contrastes absorbants, pour examiner une fonction du corps. Une de ces techniques est l’imagerie optique diffuse. Essentiellement, lorsqu’on illumine une région du corps avec de la lumière, celle-ci se disperse dans toutes les directions. Malgré le fait que la lumière soit diffuse, il reste possible de faire de la tomographie, soit reconstruire des images d’une structure biologique grâce à une illumination et à une réception. Typiquement, cela est fait par une illumination point à point sur un endroit suivie d’une détection via une caméra. Par la suite, des algorithmes vont permettre de reconstruire, à partir des images recueillies, une image en 3D.

Montage expérimental

Le projet de Samuel, dont il est question dans cet article, consiste à développer une nouvelle façon de faire ces images. Pour ce faire, ils ont décidé d’exploiter les micros miroirs digitaux. L’idée derrière cela était d’utiliser de la lumière collimatée frappant les miroirs de façon à illuminer non pas point à point, mais sous forme de patrons.  Ces patrons sont comme une image projetée sur le tissu. Cela permet d’avoir différents patrons lumineux qui illuminent le tissu. La nouveauté de ce projet provient de l’utilisation d’un micro miroir digital du côté de la détection. Cela permet essentiellement de choisir et de détecter des patrons, puis de re-sommer ceux-ci vers un seul détecteur photomultiplicateur. Le principal intérêt de cette technique est une diminution des coûts. En effet, le détecteur coûte beaucoup moins cher qu’une caméra très sensible pouvant coûter des dizaines de milliers de dollars.

De plus, lorsqu’on utilise une caméra, il y a typiquement détection de quelques millions de pixels, ce qui est beaucoup d’informations. Lorsqu’on reconstruit une image tomographique diffuse, il y a utilisation de 35 – 40 combinaisons de ces pixels, mais pas de tous les pixels. L’idée était donc de considérer seulement les mesures importantes avant la reconstruction. Ceux-ci ont donc développé un algorithme pour choisir les mesures importantes. Ils ont ainsi réussi à faire de la tomographie en mesurant beaucoup moins de mesures, avec un seul détecteur et quelques patrons, tout en mesurant très rapidement et sans feedback. Cela permet de faire du volumétrique avec un quasi rythme de vidéo grâce au fait que seules les mesures requises sont calculées.

Présentation de Samuel

Samuel a complété son baccalauréat en génie électrique en 2004 à l’École Polytechnique de Montréal. Ensuite, il a travaillé pour une compagnie en robotique-automatisation pendant 3 ans. En raison d’un fort intérêt pour l’imagerie médicale et la biologie, en plus d’une expérience en profilométrie 3D en temps réel, Samuel décide de poursuivre des études supérieures dans ces domaines. C’est à ce moment qu’il rencontre Frédéric Lesage, professeur à l’École Polytechnique ayant une expertise en imagerie médicale, avec qui il décide de poursuivre une maîtrise en imagerie modulée.

Pourquoi avez-vous précisément choisi ces deux types de patrons (échiquier et barres mobiles) comme patron d’illumination et de détection ?

Samuel : Ce travail poursuit le travail déjà entamé par plusieurs autres groupes, telle l’équipe de Bruce Tromberg et David Cuccia de UC Davis en Californie. L’idée est que lorsqu’on fait de l’imagerie tomographique avec de la modulation spatiale, la profondeur de l’information est traduite en terme de fréquence spatiale. Donc, les patrons à très hautes fréquences spatiales vont nous donner ce qui se trouve en surface, sur les frontières de l’objet. Les patrons à basses fréquences, en revanche, vont nous donner ce qui se trouve plus en profondeur, soit au milieu du tissu.

Cette technique repose sur le concept de la diffusion. Plus la lumière voyage longtemps dans le milieu, plus elle se disperse et plus il y a une perte d’information. Donc, pour obtenir de l’information tomographique sur toute la profondeur, il fallait varier la fréquence spatiale, d’où les patrons en damier. En fin de compte, nous faisons varier la grosseur des cases noires et blanches pour ainsi jouer sur la profondeur des informations recueillies. Les cases plus petites permettent d’aller chercher l’information en surface, et les cases plus grandes l’information en profondeur. Ensuite, pour des raisons techniques, lors du développement de l’instrumentation, il a fallu programmer les patrons en VHDL. À un moment donné, pour faire des tests, on a réalisé que ça allait plus vite avec des barres qui se déplacent. En l’essayant, on s’est rendu compte qu’avec les barres qui se déplaçaient de façon horizontale et verticale, on obtient  de bon résultats. C’est là qu’est venue l’idée de comparer les résultats entre ces deux types de patrons.

Pour cette étude, les tests complétés ont été réalisés avec un milieu homogène, pourtant cette technique est sensée être utilisée avec un milieu trouble. Le changement de milieu affectera-t-il la reconstruction, si oui, pourquoi?

Samuel : Oui, en fait c’est un peu ça l’idée, travailler avec les deux types de milieu. Lors des reconstructions, la première étape est de faire une reconstruction avec un fantôme numérique de l’objet qu’on va scanner et l’on suppose ce  milieu homogène. L’idée est que lorsqu’on va arriver avec un milieu hétérogène et que nous allons comparer les deux courbes d’intensités que nous avons, cela va permettre de lire la différence, soit le delta absorption dans l’objet. Toute cette technique est donc basée sur le fait que le changement de lumière que nous allons lire est dû à de très petites perturbations dans l’absorption de chaque voxel du fantôme. Ces petits changements font en sorte que nous sommes dans un régime pseudo linéaire. Toute la mécanique de la reconstruction est donc basée sur cette hypothèse de pseudo linéarité. Cela va donc nous permettre d’approximer ces mesures par un modèle linéaire. Si nous étions dans un milieu avec de très grosses variations d’absorption, cette hypothèse ne se poserait plus et c’est à ce moment que la reconstruction perdrait beaucoup en précision et en valeur.

De plus, l’application évidente de cette technique serait de l’imagerie pour le cancer du sein, où il est possible de faire une approximation comme quoi le sein constitue un milieu homogène constitué principalement de glande mammaire. Le volume peut donc être approximé comme homogène, donc dans un régime pseudo linéaire. Toutefois, mon intérêt est davantage envers l’imagerie corticale. Dans ce cas-ci, il est vrai que ce n’est pas tout à fait homogène en raison de la proportion des vaisseaux sanguins pouvant se retrouver dans les tissus corticaux des animaux précliniques. Il y a toutefois des façons pour contourner ce problème, par exemple en construisant des modèles numériques plus précis et plus proches de ce que l’on veut imager. L’idée à retenir c’est que pour que la tomographie soit bien réussie, il faut que le modèle numérique utilisé soit le plus proche possible de ce que l’on veut imager. Donc, s’il est possible d’avoir un scan 3D de l’objet à imager, comme un IRM, qui donne par exemple le réseau vasculaire, il est possible de reconstruire le fantôme numérique à partir de cela.

Dans l’article, une DEL rouge a été utilisée comme source lumineuse. Serait-il avantageux d’utiliser différents types de sources lumineuses et dans quels contextes?

Samuel : Oui, en fait le principe de la lumière qui diffuse dans le corps est que les différentes longueurs d’onde ne sont pas absorbées et ne se propagent pas de la même façon.  De plus, le chromophore qui absorbe le plus dans le corps est le sang et son absorption maximale et minimale sont respectivement dans le vert/bleu et rouge/infrarouge. Donc, dans cette étude, nous avons utilisé une DEL centré à 635nm, il serait également possible d’aller jusqu’à environ 800nm. Toutefois, dépassé 800nm, ça devient un défi car l’absorption de l’eau devient plus importante et considérant la quantité d’eau dans le corps, ça devient un problème. La fenêtre intéressante pour faire de l’imagerie tomographique optique est donc d’environ 600-800nm, là où l’absorption de l’eau est négligeable. Par contre, pour des mesures de changements d’hémoglobine ou de certains paramètres de chromophores ou de lipide, il faudrait allez plus vers le jaune/vert. Ce genre de mesures peuvent être utiles pour savoir quels neurones travaillent par exemple, car lors du travail des neurones, il y a consommation d’oxygène et donc ’une variation d’oxygène avec le milieu avoisinant. Donc, L’imagerie optique peut être utilisée comme mesure indirecte de l’activité du cerveau.

Spectres lumineux

Depuis la publication de cet article en 2010, est-ce que cette technique a été développée davantage et quelles sont les possibles applications de cette technique?

Samuel : Tout d’abord, nous avons réussi, par le biais d’Univalor, à obtenir un brevet, ici à l’université de Montréal. Par la suite, une licence a été vendue à la compagnie américaine Modulated Imaging. Présentement c’est cette l’équipe de Modulated Imaging qui travaille davantage sur ce projet. De mon côté, depuis la publication, je travaille principalement sur le volet de la réflectance pour pouvoir imager le cortex.

L’application la plus évidente serait l’imagerie au niveau du cancer, comme le cancer de la peau  et de pouvoir examiner en profondeur le derme et les tissus de la peau. Le concept derrière cette application est que lorsqu’il y a une masse cancéreuse, toute la vasculature qui se construit dans la masse est désorganisée et sans logique. Les vaisseaux n’optimisent donc pas l’apport en sang à la tumeur, le contraste HbO (hémoglobine oxygéné) et HbR (hémoglobine désoxygéné) devient beaucoup plus important. Cela est dû au fait que l’hémoglobine qui se retrouve dans cette masse va perdre beaucoup d’oxygène avant d’être évacué et c’est justement cela que Modulated Imaging tente d’exploiter avec cette technique. Ils tentent de trouver les points précis avec un grand contraste de ratio HbR/HbO dans les tissus avoisinants afin de trouver la tumeur et son étendue.

 

Samuel Bélanger, Maxime Abran, Xavier Intes, Christian Casanova, Frederic Lesage, “Real-time diffuse optical tomography based on structured illumination,” Journal of Biomedical Optics 15(1), 016006 (1 January 2010). https://doi.org/10.1117/1.3290818

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