Le sommeil et l’éveil de la conscience

Le sommeil est encore rempli de mystères et intéresse autant les chercheurs que le public. Ainsi, je me suis intéressée aux recherches effectuées au Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS) situé à l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Je suis alors tombée sur un article très intéressant qui illustre les résultats d’une étude de recherche menée par Dre Nadia Gosselin et par son étudiante au doctorat Mme Catherine Duclos. L’article, publié en 2016 dans la revue Neurology, s’intitule Parallel recovery of consciousness and sleep in acute traumatic brain injury[1]. Cette étude avait pour objectif d’observer si la récupération progressive de la conscience est associée avec la reconsolidation des cycles du sommeil chez les patients hospitalisés ayant subi une lésion cérébrale traumatique aiguë (TBI). Pour en savoir plus, j’ai eu la chance de mener une entrevue avec l’auteure principale de l’article, Mme Catherine Duclos. Cette entrevue cherchait, d’une part, à mieux comprendre les méthodes et les résultats obtenus dans l’article, mais aussi à avoir une vision plus humaine de la recherche. Voici donc ce qui en est ressortie.

Pour commencer, quel est votre background et qu’est-ce qui vous a mené dans ce domaine?

J’ai d’abord fait un baccalauréat en anthropologie, puis j’ai travaillé pendant deux ans en développement international. Mais comme j’ai toujours eu de l’intérêt pour le cerveau, la psychologie et le sommeil, j’ai décidé de poursuivre des études supérieures en psychiatrie. Sauf que cela nécessitait un baccalauréat en sciences. Je suis donc aller à la rencontre de Mme Marie Dumont,

De gauche à droite: Marie Dumont, Catherine Duclos et Nadia Gosselin

alors directrice du comité des études supérieures en psychiatrie pour discuter avec elle de la meilleure stratégie pour moi de réaliser mon rêve. Quelle n’a été ma surprise quand, après avoir examiné mon dossier, elle m’a dit que j’étais une bonne candidate pour le programme et qu’il me restait deux semaines pour m’inscrire. En plus, un nouveau laboratoire de recherche clinique sur le sommeil venait d’ouvrir sous la direction du Dre Nadia Gosselin. Et voilà comment trois mois plus tard, je commençais ma maîtrise.

Donc, en quelle année avez-vous commencé exactement  ?

En 2011. J’ai fait un passage direct maîtrise-doctorat et j’ai aussi eu un bébé en même temps. En tout, ça a pris 6 ans et demi. Ça s’est plutôt bien passé !

Félicitation c’est un gros accomplissement !

Pouvez-vous nous donner un résumé de l’article dont on a discuté ?

En fait, lors du premier article de ma thèse, nous avons mesuré le cycle veille/sommeil chez 16 patients avec trauma crânien modéré à sévère. C’était la première fois qu’on caractérisait ce qui se passait chez ces patients et c’est là que nous nous sommes rendus compte qu’il y avait une association avec la récupération cognitive. Les patients qui avaient une meilleure reconsolidation de leurs cycles veille/sommeil sur 24 h étaient aussi ceux qui sortaient de l’amnésie post-traumatique à leur congé d’hôpital. La possibilité qu’il y ait un lien entre la récupération du sommeil et la récupération cognitive nous semblait très intéressante. Nous avons donc voulu pousser cet aspect dans l’article dont tu parles. L’objectif était de voir l’évolution au jour le jour, à la fois du cycle veille-sommeil et de la récupération des fonctions cognitives et observer si le sommeil influence la conscience.

Est-ce pour ces raisons que l’étude était étendue sur 233 jours ?

En fait, le 233 jours c’est plutôt le nombre de jours total pour tous les patients. En moyenne, chaque patient, hospitalisé au soins intensifs, puis dans les unités neurologiques, portait un actigraphe pendant 11 jours. À tous les jours, on devait mesurer la consolidation de leur cycle veille/sommeil et la qualité de leur sommeil nocturne. On devait aussi obtenir la mesure de la conscience, donnée par la Rancho Los Amigos scale of cognitive functioning (RLA). On a alors observé que les deux paramètres d’intérêt, le sommeil et les fonctions cognitives, évoluaient de façon parallèle. Mais étant donné qu’on  n’avait que 30 sujets, donc le fait qu’on n’a pas trouvé de relation cause à effet ne veut pas nécessairement dire qu’il n’y en ait pas une. Il faudrait des études plus poussées. C’est certain que le sommeil est étroitement lié à la plasticité neuronale et aux fonctions cognitives. En même temps, une évolution en parallèle suggère une relation plus globale.

Pourquoi avoir choisi l’actigraphe comme instrument de mesure?

Nous avions d’abord commencé avec la polysomnographie, mais ce n’était pas adapté à des patients confus et agités étant donné la quantité de fils à poser sur eux. En plus, nous avons vu qu’il n’y avait pas de différence notable entre le sommeil mesuré par le polysomnographe sur nos patients et celui des patients orthopédiques sans trauma crânien. Par ailleurs, l’’actigraphe, permet de prendre des mesures de mouvements et est simple à porter. Il  permet vraiment de suivre l’évolution du sommeil. Par contre, comme c’est une mesure indirecte et souvent biaisée chez les patients alités, nous nous sommes assurés de valider ses mesures en comparaison avec le groupe contrôle.

Est-ce que vous avez travaillé avec les ergothérapeutes pour prendre les données sur l’échelle RLA ? Pourquoi avez-vous choisi cette échelle?

En fait, nous sommes allés chercher les données des ergothérapeutes en rétrospective de l’étude. Cet article n’était pas prévu au départ, c’est vraiment pendant notre première étude que nous avons vu qu’il y avait une corrélation entre le sommeil et la reconsolidation de la conscience et que nous avons décidé d’investiguer.

La RLA est une échelle comportementale créée spécialement pour les traumatisés crâniens afin d’évaluer leur fonctions cognitives. Elle n’avait jamais été utilisée comme marqueur de la conscience. En la comparant à l’échelle de conscience la plus courante, la Coma Recovery Scale-Revised, nous avons pu vérifier que les deux utilisent les même critères de l’émergence de l’état de conscience minimale. Sur l’échelle RLA, cet éveil correspond au niveau 6, soit lorsque le patient peut répondre de façon structurée à un interlocuteur ou lorsqu’il est apte à utiliser correctement un objet. Ainsi, l’échelle RLA semblait utile comme mesure de la conscience dans notre étude.

J’ai remarqué que vous aviez une incertitude d’âge de 13 ans. L’âge a-t-il eu un impact sur vos données ?

En effet, il y avait beaucoup de variabilité, mais l’âge moyen de notre population représentait quand même l’âge moyen des patients avec un trauma crânien. Ceci dit, il est vrai que nous avons vérifié si l’âge influençait les variables qu’on observait et c’était négatif. Il fallait surtout vérifier si leurs habitudes de sommeil étaient régulières.

Pensez-vous qu’on peut adapter des traitements en fonction de vos données?

Je pense que oui. C’est évident que le sommeil a un impact sur les facultés cognitives. Il faudrait d’abord favoriser un meilleur environnement de sommeil. Il y a plusieurs patients qui se faisaient réveiller au milieu de la nuit pour se faire peser. Ce n’est pas optimal !

On pourrait aussi utiliser la luminothérapie pour son effet stimulant lors des activités journalières des patients. En les stimulant, ils auraient plus de chances d’avoir un sommeil soutenu pendant la nuit. Une autre idée c’est de leur administrer de la mélatonine, qui joue un rôle dans les cycles circadiens. Une nouvelle étude chez les animaux montre que les trauma crâniens peuvent réduire le nombre de récepteurs à la mélatonine. Ainsi, une dose supplémentaire pourrait les aider. En plus, elle a des effets antioxydants et semble augmenter la neurogénèse. Pas du tout nocif !

Les sédatifs ou analgésiants qui étaient administrés aux patients n’auraient pas eu une influence sur les cycles veille/sommeil des patients ?

Oui en effet, nous nous sommes demandés si, d’un patient à l’autre, le temps passé en soins intensifs ou la quantité de sédatifs administrée influençaient la perturbation de ses cycles veille/sommeil. Nos analyses ont montré que ce n’était pas le cas. Puis, les mesures que nous prenions se faisaient lorsque le patient ne prenait plus de médicaments.

Mais, est-ce que des sédatifs pourraient aider à récupérer ?

En effet, c’est intéressant de voir si le sommeil artificiel induit par des sédatifs peut vraiment aidé. Des études animales ont observé que l’anesthésie pourrait avoir des effets de restauration. Il y aussi plusieurs substances qui peuvent induire les même ondes du sommeil profond. Mais on ne sait pas encore s’il est néfaste de priver le cerveau d’un sommeil naturel. Ça reste à voir et c’est très intriguant.

Pouvez-vous décrire l’interaction que vous aviez eu avec les patients ?

Oui ! J’ai beaucoup aimé le côté clinique. D’un côté, c’était difficile de les voir si jeunes dans un état pareil et de se rendre compte de la lenteur du rétablissement. Ils étaient confus et désorientés et bien que je les voyais tous les jours, ils n’avaient aucune idée de qui j’étais. On a l’impression qu’ils sont réveillés, mais ils n’enregistrent pas ce qui se passe autour d’eux. Ils sont en phase d’amnésie post-traumatique et c’est un stade qui peut durer longtemps. En outre, j’étais touchée de pouvoir suivre leur cheminement et de mener une étude qui pouvait en bout de ligne, aider ce type de patient.

Par rapport au consentement, comment ça se passe avec l’hôpital et avec les familles ?

Pour des patients post-traumatiques, comme ils sont inconscients ou incapables de prendre une décision éclairée, nous allons en effet s’adresser aux familles. J’ai rencontré environ 500 familles pendant mes études. On apprend à présenter son projet et à choisir le bon moment. Lorsque le patient se réveille, les familles sont plus rassurées et ouvertes à l’étude. Au final, c’était une belle expérience d’interagir avec elles et de les voir s’intéresser à la recherche.

Pour l’hôpital, cela a été assez compliqué. Il fallait  construire soi-même tous les formulaires de consentement et j’en avais 12. C’est généralement long, mais une fois qu’on peut montrer que le projet est éthique et ne cause pas de dommages aux patients, ça se passe assez bien.

Deux dernières questions. D’abord, qu’est-ce que vous avez le moins aimé ?

J’ai tellement adoré, je le referais. Le seul point que je pourrais voir c’est qu’il faut être très patient en recherche. Cela peut prendre plusieurs années avant d’avoir assez de données pour répondre à ses questions. Mais au final ça ne m’a pas tant dérangée.

Est-ce que ça pourrait aussi être la séparation avec les patients ?

Oui, c’est vrai, il y a des cas qui m’ont vraiment touchée. Des histoires qui étaient vraiment difficiles et injustes. Je sortais souvent de la chambre les larmes aux yeux. C’était triste, ça m’a rendu un peu plus peureuse mais en même temps ça m’a fait apprécié ma santé.

Et puis, qu’est-ce que tu as le plus aimé ?

Catherine Duclos

Le contact avec les gens. Même si je ne pouvais pas aider les patients directement, je sentais que ce que je faisais avait un impact sur la perception qu’on a de ce type de patients. Les suivre tout les jours, voir les familles qui s’intéressaient à notre travail, voir que ça les rassurait aussi, c’était enrichissant. Ça m’a même donné envie d’aller en médecine.

Est-ce que vous allez le faire ?

J’ai été acceptée en Médecine à l’Université McGill, mais j’ai dû décliner l’offre d’inscription.  Avec un enfant, cela aurait été difficile. Et puis, j’aime beaucoup la carrière de chercheur. Même si parfois c’est précaire et difficile de trouver du financement, j’ai confiance que ça va bien aller. J’ai eu un très bon modèle en Nadia Gosselin. Tout en étant professeure et directrice de laboratoire, elle est mère de trois enfants et mène un mode de vie très sain et dynamique. Elle m’a montré que c’était possible d’être à la fois chercheur et mère.

Catherine a terminé sa thèse de doctorat en janvier 2018 et débute maintenant un post-doctorat à l’Université McGill avec une co-direction à l’Université du Michigan. Elle travaillera à trouver un marqueur de la conscience chez les patients végétatifs en se servant de l’anesthésie. Aussi, un autre article, faisant suite à celui discuté ici, sera bientôt publié. Bref, ce fut un plaisir de discuter avec elle et je lui souhaite le meilleur dans ses prochaines recherches et dans tout ce qu’elle entreprendra.

 

[1] C. Duclos and al. (2016). Parallel recovery of consciousness and sleep in acute traumatic brain injury. Neurology. Page 268-275. DOI: 10.1212/WNL.0000000000003508

 

 

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *