Étude d’implants dynamiques pour soigner la scoliose chez l’enfant

Récemment j’ai eu le plaisir de rencontrer Isabelle Villemure et Anne-Laure Ménard pour discuter de leur article « Static and Dynamic Compression Application and Removal on the Intervertebral Discs of Growing Rats» (2016)1, rédigé dans le cadre du doctorat d’Anne-Laure.

Isabelle Villemure (à gauche) et Anne-Laure Ménard (à droite)

Anne-Laure Ménard est issue d’une école d’ingénieur généraliste française (École des Mines de Saint-Étienne) et a passé un an à Polytechnique Montréal lors d’un échange. Dans le cadre de son diplôme, elle a été amenée à faire un stage dans le laboratoire d’Isabelle Villemure où elle a ensuite enchaîné avec un doctorat. Elle poursuit actuellement un post-doctorat en biomécanique à l’ÉTS (École de technologie supérieure) de Montréal, dans le Laboratoire d’Imagerie Orthopédique, sous la supervision des professeurs Éric Wagnac et Yvan Petit.

Isabelle Villemure a tout d’abord effectué un PhD sur la modélisation de la colonne vertébrale afin de comprendre les mécanismes de progression de la scoliose d’un point de vue analytique. Ce n’est que lors de son post-doctorat qu’elle s’est vraiment lancée dans l’expérimental où elle a étudié la plaque de croissance afin de comprendre comment les charges mécaniques pouvaient entraîner une progression de la maladie dans le cas de la scoliose. Cette discipline se nomme la mécanobiologie. Par la suite, elle a toujours utilisé en parallèle les approches analytiques et expérimentales car ces dernières permettent de nourrir les modèles analytiques qui ont besoin d’un nombre important de paramètres et de relations pour pouvoir fonctionner. Enfin, si une grande partie de sa recherche s’applique à la scoliose chez l’adolescent, elle s’intéresse aussi à beaucoup d’autres aspects qui touchent à l’orthopédie, tout en restant néanmoins dans le domaine des os et de la croissance.

La discussion s’est ensuite rapidement focalisée sur l’article qui montre l’avantage d’utiliser un chargement de type dynamique par rapport à celui de type statique ; ce qui pourrait être utilisé pour concevoir de nouveaux implants afin de corriger la scoliose chez les enfants en pleine croissance.

L’idée de départ : utiliser la croissance pour rectifier les déformations scoliotiques

Jusqu’à présent, pour corriger la scoliose chirurgicalement, on utilisait des dispositifs très rigides afin d’immobiliser la colonne, combiné à la fusion des vertèbres. C’est un processus assez handicapant puisque la personne appareillée n’est plus aussi libre de ses mouvements. Par ailleurs, ce genre de dispositifs implique d’autres désavantages associés aux risques chirurgicaux puisque c’est une chirurgie très invasive. Ces derniers temps il y a donc eu une volonté de développer des implants dits « sans fusion » permettant de préserver les disques intervertébraux.

Schéma d’une partie du rachis

Pour comprendre le fonctionnement de ces implants, il est important de revenir aux mécanismes de base de la scoliose et notamment sur le phénomène appelé « modulation mécanique de la croissance ». En effet, les os en croissance sont sensibles au chargement qu’on leur impose, notamment au niveau de leurs plaques de croissance. Ces dernières sont les tissus cartilagineux situés aux extrémités des os longs et des vertèbres, endroits auxquels la croissance s’effectue. Ainsi, si on impose une pression accrue sur les os, la croissance sera ralentie. Au contraire, si on relâche la pression, la croissance aura tendance à accélérer. De ce fait, lorsqu’un enfant commence à avoir une déformation, il y a plus de pression d’un côté de la vertèbre que de l’autre. Par conséquent, la vertèbre va croître de façon asymétrique et l’empilement des vertèbres se déformera de plus en plus.

L’idée d’approche avec les implants sans fusion consiste à utiliser ce principe, mais à l’envers, car on souhaite rectifier une courbure initialement présente. Avant que l’enfant commence sa poussée de croissance, on vient mettre des charges de compression du côté convexe de la courbe afin de ralentir la croissance de ce côté. Avec le temps, les vertèbres qui sont inclinées vont revenir à la normale et l’empilement des vertèbres s’alignera adéquatement. Le même principe qui cause la progression de la scoliose si on n’intervient pas pendant la croissance, est exploité pour rectifier graduellement, dans le temps, la forme de la colonne.

Il reste cependant beaucoup de questions à traiter avant de pouvoir utiliser ce type d’implants. La première étant de savoir s’il vaut mieux appliquer une charge statique ou une charge dynamique notamment en ce qui concerne la préservation de l’intégrité des disques intervertébraux durant la durée du traitement.

Preuve de concept : les implants dynamiques préservent mieux les disques intervertébraux que les implants statiques

L’étude d’Anne-Laure s’est intéressée au modèle de la queue de rat et il s’agissait de prouver que dans ce cas précis, les implants dynamiques n’endommageaient pas les disques intervertébraux contrairement aux implants statiques.

Contrairement aux implants statiques qui imposent une charge constante au cours du temps, les implants dynamiques vont imposer la même charge en moyenne mais vont osciller autours de cette charge à une certaine fréquence.

Ce sont des rats sans déformation au niveau de la queue qui ont été étudiés (figure ci-contre). Dans ce cadre expérimental on a appliqué de manière très contrôlée une contrainte moyenne précise (0,2MPa) sur toute la durée de l’étude. Cette dernière a bel et bien montré que les chargements dynamiques paraissaient ne pas endommager les disques intervertébraux par rapport aux implants statiques. Néanmoins de nombreuses étapes sont nécessaires avant de pouvoir envisager le développement de ce type d’implants en clinique.

Etape suivante : l’étude sur le modèle du gros animal

Suite à l’étape sur les queues de rats, le projet a été continué par une autre étudiante en doctorat (Viviane Lalande) qui a développé un concept d’implant dynamique comme celui utilisé sur les rats, mais cette fois à plus grande échelle. Le concept d’implant dynamique a été testé à deux niveaux jusqu’à maintenant : ex vivo sur des spécimens cadavériques de rachis porcins et in vivo sur un porc vivant anesthésié.

Lors de l’étude sur le rachis cadavérique, un câble est placé sur le rachis et l’appareil développé par l’étudiante contrôle la fréquence à laquelle on tire sur le câble. Par ailleurs, il y a un bras avec un petit capteur qui vient s’insérer entre le dessus de la vertèbre et le disque intervertébral, aux endroits où se trouvent les plaques de croissance. Ce capteur permet de déterminer la pression appliquée localement lorsqu’on tire sur le câble avec une certaine force. L’étudiante a donc été capable d’obtenir une relation entre la force de traction et la pression locale appliquée.

L’étape in vivo est actuellement en cours d’étude.

L’étape suivante serait d’insérer l’implant dynamique dans un animal vivant et de le laisser vivre pour voir l’effet du dispositif sur la correction de la pathologie. Ce serait alors un dispositif non miniaturisé qu’on viendrait mettre dans un sac sur le dos de l’animal. En effet, il est important de prouver préalablement qu’il y a bel et bien un bénéfice à utiliser des implants dynamiques par rapport aux implants statiques avant de mettre des moyens et du temps à tout miniaturiser.

Un projet multidisciplinaire

Le programme de recherche du laboratoire s’intéresse à l’effet de l’environnement mécanique sur la croissance osseuse et la santé du disque intervertébral et va donc impliquer beaucoup de spécialités en médecine, et principalement des orthopédistes.

Isabelle Villemure fait partie de l’axe de recherche Maladies musculosquelettiques et réadaptation au centre de recherche du CHU Sainte-Justine où se côtoient un grand nombre de spécialités différentes.  Ainsi, on y rencontre des ingénieurs mécaniques, informatiques, logiciels mais aussi des médecins, des physiothérapeutes et des biologistes. En outre, dans le cadre du projet sur les implants dynamiques, Anne-Laure était encadrée par une équipe d’une directrice principale et de deux co-directeurs de spécialités très différentes : une ingénieure biomédicale (Mme. Villemure), une biologiste de l’Université de Montréal ainsi qu’un chirurgien orthopédiste de Sainte-Justine.

Il est important de réunir une équipe multidisciplinaire afin d’avoir une approche la plus globale possible pour être capable de comprendre et d’envisager le problème dans sa totalité.

Les défis à relever

Il reste encore de nombreuses questions à traiter avant de pouvoir envisager l’utilisation d’un tel dispositif pour traiter la scoliose chez les enfants. En effet, si on réussit à prouver que les implants dynamiques ont un réel avantage par rapport aux implants statiques alors il restera encore à résoudre de nombreux problèmes techniques tels que la miniaturisation du dispositif ou la source d’énergie.

Ce type d’implants sans fusion permettrait de contrôler de manière précise les pressions qu’on impose localement sur la colonne et ainsi adapter le traitement et la charge appliquée au fur et à mesure du traitement pour qu’il soit le plus efficace possible pour l’enfant.

 

Référence:

[1] Ménard, A.-L., Grimard, G., Massol, E., Londono, I., Moldovan, F., & Villemure, I. (2016). Static and dynamic compression application and removal on the intervertebral discs of growing rats. Journal of Orthopaedic Research: Official Publication of the Orthopaedic Research Society, 34(2), 290‑298.
https://doi.org/10.1002/jor.22991

 

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