Une vision moléculaire, pour permettre aux chirurgiens de voir le cancer.

“Souvent, il est impossible de distinguer visuellement les cellules cancéreuses des cellules saines. Il subsiste donc fréquemment des cellules cancéreuses après la chirurgie, ce qui entraîne une récidive du cancer et un mauvais pronostic. Plus le chirurgien enlève de cellules cancéreuses, plus le pronostic du patient est positif.”

 

Le Professeur Frédéric Leblond, directeur du “Laboratoire de Radiologie Optique” de l’École Polytechnique de Montréal, propose une solution innovante au problème de la détection en temps réel des cellules cancéreuses. La technologie qu’il a mise au point consiste en une sonde optique, couplée à des algorithmes d’intelligence artificielle, qui indique en quelques secondes si les cellules qu’elle touche sont cancéreuses ou saines. Cette information permet au chirurgien de décider rapidement si il procède à l’extraction du tissus.

 

Figure 1 – Sonde optique Raman permettant de détecter les portions de tissus cancéreux durant une opération. Source : https://lroinnovation.com/fr/.

Une carrière basée sur la science et l’innovation.

Après un Bacc. en Génie Physique à l’École Polytechnique de Montréal, et un Doctorat en physique théorique, Frédéric Leblond décide d’appliquer ses connaissances dans le domaine de la médecine. Il commence sa carrière en tant qu’ingénieur de développement dans une compagnie d’imagerie médicale. Il obtient ensuite un poste de professeur au Dartmouth College, NH, USA où il continue à développer des instruments médicaux sur le thème des “méthodes optiques d’interrogation de tissus durant la chirurgie”. En 2012, il obtient un poste de professeur à l’École Polytechnique de Montréal, où il continue de développer des instruments optiques médicaux de pointe, notamment dans le domaine de la spectroscopie vibrationnelle.

 

Qu’est ce que la spectroscopie vibrationnelle?

La spectroscopie vibrationnelle est une technique qui permet de mesurer la composition chimique d’un tissus grâce à un laser. Le principe est relativement simple. Une partie de l’énergie du faisceau laser est absorbé par les molécules du tissu, sous forme de vibrations (d’où le terme “vibrationnelle”). Le reste de l’énergie est renvoyé à un détecteur appelé spectromètre (d’où le terme “spectroscopie”). Le spectromètre permet de mesurer les différentes énergies de vibrations absorbées par l’échantillon, et donc de déduire les molécules présentes dans le tissu. La spectroscopie “Raman” est un type de spectroscopie vibrationnelle qui a la particularité de bien fonctionner avec un montage optique relativement simple. La figure ci-dessous montre un exemple de mesure vibrationnelle (spectre Raman), ainsi que l’identification des molécules associés aux différentes énergies de vibration. Ainsi, même s’ils sont invisibles à l’oeil nu, une multitude d’éléments chimiques peuvent être détectée grâce à la spectroscopie vibrationnelle.

 

Figure 2 – Exemple de mesure spectrale Raman. En noir, la mesure d’un tissus cérébral sains et en rouge, un tissu cancéreux. Les pics correspondent à différents éléments chimiques dont la concentration change si le tissu est cancéreux. Source : https://lroinnovation.com/fr/

 

En quoi la composition chimique aide à distinguer les cellules cancéreuses des cellules saines ?

“Acquérir le spectre Raman n’est pas la dernière étape, en fait, ce n’est que le début.” La différence de composition chimique entre une cellule saine et cancéreuse est très subtile. Ainsi, des méthodes avancées d’intelligence artificielle doivent être utilisées pour décrypter les faibles variations moléculaires engendrés par les mutations génétiques. Pour entraîner ces algorithmes et s’assurer d’avoir des résultats robustes, il faut mesurer plusieurs centaines ou milliers de spectres Raman, puis utiliser les méthode classiques d’histopathologie pour classifier les tissus selon deux diagnostiques : sains ou cancéreux. En prenant ces exemples comme référence, les méthodes d’intelligence artificielle vont pouvoir extrapoler le diagnostic de nouveaux tissus.

 

Dans un article récent dont vous êtes le principal investigateur: ‘K. Aubertin et al, Combining high wavenumber and fingerprint Raman spectroscopy for the detection of prostate cancer during radical prostatectomy, 20181’ vous présentez une sonde Raman capable de détecter des cellules cancéreuses dans la prostate. Est-ce que la méthode est applicable à d’autres cancers?

“Oui, c’est un thème, nous avons publié une douzaine d’articles en rapport avec cette sonde.” La méthode est applicable à plusieurs autres types de cancer, par exemple cancer du poumon ou du cerveau. Cependant, la base de donnée doit être modifiée, un algorithme qui pourra détecter des cellules de prostate cancéreuses ne marchera pas pour le cerveau, et vice versa. De plus, il est possible de tester la sonde avec différents lasers pour mesurer différentes plages d’énergies vibrationnelles. Par exemple la plage “high wave number” et la plage “Raman fingerprint” vont donner des informations complémentaires sur la composition chimique.

 

L’outil que vous proposez est une sonde qui a à peu près la taille d’un stylo, pour l’utiliser, il faut placer la pointe sur le tissu à mesurer, lancer la procédure d’acquisition et de diagnostic, puis répéter la procédure. Ne serait-il pas plus efficace d’avoir une caméra Raman, plutôt qu’une sonde ponctuelle ?

“La réponse facile c’est oui, mais en pratique, non. […] La sonde qu’on tient à la main, le chirurgien aime beaucoup ça, il appuie à un endroit et il a une information localisée et instantanée.” En effet, durant une opération, le chirurgien pointe la sonde sur une région de tissus d’environ 1 millimètre carré, si le tissus est cancéreux, il l’enlève avec son scalpel. Avoir une image microscopique, précise à la cellule près ne serait pas utile dans ce contexte opératoire, car le chirurgien ne peut pas enlever une cellule à la fois. Ses outils lui permettent d’enlever des bouts de quelques millimètres cube donc le fait de moyenner l’information sur un tel volume est parfaitement adapté aux pratiques de chirurgies courantes.

 

Figure 3 – Image représentative de la sonde développée par Prof. Frédéric Leblond et son équipe. Source : https://odsmed.com

 

Comment passe-t-on d’un concept développé dans un laboratoire de recherche à un outil médical commercialisé?

“La recherche c’est le plus facile, le vrai challenge c’est la commercialisation.” En 2015, Prof. Frédéric Leblond et Dr Kevin Petrecca, neurochirurgien, ont fondé ODS Medical, une firme dédiée au développement et à la commercialisation d’outils optiques de pointe pour la chirurgie. Depuis, ils ont surmonté de nombreux challenges. Par exemple, le défis de la standardisation des mesures : assurer une qualité de donnée constante dans toutes les conditions opératoires. Ou bien, s’assurer que les outils soient stérilisables, et aient une durée de vie qui est compatible avec une utilisation commerciale. Finalement, désigner l’outil pour qu’il puisse être fait en série sur une chaîne de montage. Ces points, souvent secondaires en recherche, sont critiques dans l’industrie, et demandent un temps et une implication considérable.

 

À gauche, Le professeur Frédéric Leblond et à droite le neurochirurgien Dr Kevin Petrecca, tous deux co-fondateurs de la firme ODS Medical. Source : https://odsmed.com

 

Comment fait-on pour accéder au marché médical ? Y-a-t-il des réglementations ou certifications? Notamment en ce qui concerne la qualité des données fournies par votre outil.

“On travaille avec la FDA [Food and Drug Administration, US] pour obtenir une certification qui est conforme avec leur guidelines. Ce qui est compliqué c’est qu’ils sont en train d’entrer dans le monde de l’AI, les normes ne sont pas encore claires. On travaille avec eux à différents niveaux pour pallier aux normes très strictes du domaine médical.” Pour la qualité et pertinence des données, on travaille avec des chirurgiens. Ensemble on établit un cahier des charges, par exemple : ‘l’instrument est capable de détecter les cellules cancéreuses dans le tissu X, lorsque le taux de cellules cancéreuses dépasse Y%’. Ensuite, on met en place une étude clinique pour atteindre la précision de mesure souhaitée dans les conditions pré définies. Le tout est envoyé à la FDA, qui s’assure que le produit est conforme aux exigences du cahier des charges. Par exemple, la FDA peut demander de revoir ou modifier l’étude clinique qui à été faite pour prouver la fiabilité du produit. Cette approbation est à refaire pour chaque cahier des charges, c’est à dire pour chaque tissu ou pathologie.

 

Quelles sont les prochaines étapes ? Que prévoyez-vous pour le futur de ce projet ?

“Pour le futur, on se dirige vers deux choses” : Premièrement, la commercialisation de l’outil pour de nombreuses pathologies. Pour ceci, nous allons augmenter le nombre de patients associés à différentes pathologies. “C’est une étape clé pour obtenir l’approbation liée à ces différentes pathologies, mais aussi cela va nous permettre de rentrer dans l’aire du Big Data.” L’idée est de combiner un grand nombre d’informations pour obtenir un résultat plus robuste.
“Deuxièmement, on développe des nouveaux instruments qui combinent plusieurs types d’imagerie multimodale.” Toujours dans l’idée du Big Data, Prof. Frédéric Leblond travailles sur des concepts permettant de mesurer plusieurs points simultanément, et ce, avec des méthodes d’imageries multimodales, combinant par exemple les mesures Raman, mais aussi “fluorescence endogène”, “diffusion optique”, ect, afin d’améliorer davantage la précision du diagnostic.

 

Ce fut un plaisir de discuter avec Frédéric Leblond à propos des instruments chirurgicaux de pointe qu’il développe à Polytechnique. Pour en savoir plus, je conseille de visiter le site de son laboratoire LRO (https://lroinnovation.com/fr/), et le site de sa firme ODS Medical (https://odsmed.com).

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Référence:

1Kelly Aubertin, Joannie Desroches, Michael Jermyn, Vincent Quoc Trinh, Fred Saad, Dominique Trudel, and Frédéric Leblond. “Combining high wavenumber and fingerprint Raman spectroscopy for the detection of prostate cancer during radical prostatectomy.” Biomedical Optics Express. 2018; Vol. 9, Issue 9, pp. 4294-4305 https://doi.org/10.1364/BOE.9.004294

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